Par Anne Toulouse, médecin généraliste alcoologue, CSAPA CAP 93
Définition
Le RPIB est désormais le sigle consacré depuis une vingtaine d’année pour désigner l’évaluation du risque lié à l’alcool par les professionnels de santé.
Il est promu par l’HAS (1) comme une démarche de prévention efficace en direction de l’ensemble de la population adulte.
Comme toujours, le médecin généraliste avec le médecin du travail sont les intervenants privilégiés de cette démarche
Les objectifs à court et/ou long terme
- Tenter de réduire le risque lié à une consommation d’alcool trop importante (2).
- Aider la population à la prise de conscience de l’existence potentielle d’un « risque alcool » pour tous les sujets
- Faciliter le recours à la demande d’aide des patients en difficulté.
- Aborder facilement et fréquemment la question de l’alcool avec les patients, à défaut d’entraîner une diminution immédiate de la consommation, permet d’intégrer l’alcool comme un facteur exogène potentiellement toxique et participe au changement de regard sur ce produit. Tantôt encensé tantôt banni, il s’agit pour le professionnel de santé et le patient de se départir peu à peu de cette représentation clivante et inopérante.
Arguments
- L’alcool est reconnu comme un facteur de risque ubiquitaire (3). En France c’est la 3ième cause évitable de mortalité ; 41 000 mort /an (4)
- Revue « Prescrire » de juin 2014 : « la réduction de l’alcoolisation excessive par les interventions brèves est modeste. Les méta-analyses (5,6,7,8) ont les limites des essais qu’elles rassemblent : pas de distinction des types de consommations et des patients différents, cependant une intervention comportementale telle qu’une intervention brève éventuellement répétée semble un déclencheur de réduction de consommation chez certains patients ».
- Existence de questionnaires standardisés et validés pour repérer un risque somatique lié à l’alcool. (cf. encart du questionnaire FACE[a])
Le contexte et différents cas de figures :
- Le cadre de la consultation de médecine générale :
- Le médecin a peu de temps et on lui en demande beaucoup
- Les patients ne viennent en général pas pour la question de l’alcool.
- Différents types de consultation ;
- Visite de routine (certificat, pathologie chronique, renouvellement de traitement…)
- Visite pour un problème de santé aigu
- Nouveau patient
- Consultation qui peut attirer l’attention sur la question de l’alcool entre autres
- Tout problème de sommeil ; de malaise psychique ; de syndrome anxieux et ou dépressif ou passage à vide, surmenage ; problème judiciaire, professionnels, familial etc…
- Patient qui prend ou demande un traitement psychotrope (anxiolytique, antidépresseur ou hypnotique toute classe)
- HTA à la prise systématique de la PA ou biologie perturbée (glycémie, TG, NFS, BH)
- Tout problème digestif : nausées, diarrhées, douleurs abdominales, anorexie, surpoids
Les freins
- Manque de temps et crainte de s’embarquer dans une question qui peut dégénérer en « discussion-affrontement » ou consultation qui s’éternise.
- Habitude ancrée de s’en remettre uniquement au dépistage des alcoolo-dépendant-e-s ou des conséquences somatiques liées à l’alcool
- Pensée binaire et simplifiée : Banalisation /dramatisation de la consommation d’alcool :
- Représentations des professionnels sur la consommation d’alcool : soit anodine voire valorisée (dite festive pour ne pas s’en occuper), soit avec dépendance.
- Représentation sur les consommateurs.trices qui vont nécessairement cacher leur consommation d’alcool, la banaliser, la réduire par rapport à la réalité, nous entraînant dans la relation désagréable de méfiance : jeu de cache-cache, risque de perte de la relation de confiance. « Cet.te patient.e avoue 1 à 2 apéro le WE mais je suis convaincu qu’il.elle consomme tous les jours ou que c’est beaucoup plus» / « S’il.elle me pose la question, c’est que mon docteur peut penser que je bois, que je suis alcoolique… »
- Le manque de conviction sur l’efficacité de cette pratique en tant que prévention vers l’évolution d’une alcoolo-dépendance ou de maladies liées à l’alcool(9)
Pour qui, Quand et Comment faire ?
- Le RPIB concerne tous les patients, pas seulement « l’homme de 50 ans » ou ceux chez qui les signes orientent vers une consommation nocive d’alcool
- Cela dépend de la façon d’exercer de chaque praticien et cela dépend aussi du contexte : il faudra donc trouver ses propres méthodes en les expérimentant
- Certains vont dérouler un questionnaire (FACE) pour essayer de limiter les interactions citées plus haut et trouver un « garant » de la neutralité
- Certains vont essayer d’en parler régulièrement au même titre que l’alimentation, le tabac, l’activité physique, etc.
- En toute chose, le médecin s’adapte naturellement au contexte et âge du.de la patient.e qui le la consulte. Parler d’alcool n’y déroge pas mais il s’agit de ne pas avoir sur le sujet de préjugés en rapport avec la catégorie à laquelle appartient son patient (sexe, âge ; travail, conditions de vie etc.)
En pratique : quelques idées de moyens :
- Se mettre tout d’abord à l’aise avec la question des verres standards pour évaluer la consommation à partir de tous les contenants selon le degré d’alcool (flash, canettes, bouteilles 20, 25, 33, 50, 70 ; 75 100, 150cl)[b]. Ce point est essentiel car il permet de parler avec le la patient.e de la même chose.
Exemple : Si « 2 verres » d’apéro pour le.la patient.e peuvent facilement équivaloir à « 6 verres standards pour le médecin », on comprend que l’on ne peut pas évaluer le risque et le restituer correctement au. à la patient.e. Une fois, soi-même habitué, il est plus facile de déterminer avec le.la patient.e le décompte de sa consommation.
- Doter son dossier médical d’une place pour l’évaluation de la consommation d’alcool avec une alerte au même titre que les examens de dépistage, la surveillance de pathologie chronique, de risque général ou lié à une exposition quelconque.
- Essayer de penser « l’alcool » comme un facteur externe d’exposition quelle que soit la catégorie de patient : sportif, personnes âgées ; femme, jeunes….
- Y penser systématiquement dans les cas cités plus haut (HTA, sphère digestive, neurologique et psychique)
- Le vocabulaire employé sur ce sujet est déterminant pour être à l’aise:
- Si « boire » peut être ambigu penser à « consommer »
- Si « avoué » noté sur son dossier renvoie à faute ; penser « déclaré »
- Si « combien » flirte avec contrôle penser au « comment » (habitudes, occasions…)
- Si « alcool » représente pour nous ou les patients, seulement les alcools distillés ; préférer « boissons alcoolisées »
- En dehors des phrases type des questionnaires impersonnels, si le médecin ne souhaite pas les utiliser,
- Privilégier les questions ouvertes sur le mode d’usage et la fréquence sur une semaine ou le mois c’est à dire, aider le patient à décrire une consommation bien souvent polymorphe. (Seul, en famille, avec les collègues ou les copains, à midi, le soir ; au cours ou en dehors des repas, au bar, chez soi ou dehors ; en sortant du travail ou à l’arrivée chez soi ; tous les jours ; en fin de semaine ; l’apéro, les fêtes, sorties, soirées etc.) ;
- La quantité pourra venir se préciser dans un deuxième temps avec le type de contenant et sa traduction en verres standards.
- Questionnaire FACE ; connaître les seuils et leurs significations. Les avantages de ce questionnaire sont : la rapidité, la mise en retrait de la relation soignant/soigné le temps du test et l’ouverture facile après rendu immédiat du résultat d’une explicitation du risque alcool attendue par les patients.
- Trouver ses propres mots pour aborder la question de l’alcool, mots avec lesquels on est parfaitement à l’aise et qui permettent de diminuer d’autant l’ambiguïté toujours possible sur l’existence d’une pensée stigmatisante sous-jacente ; exemple : « Quelles sont – ou bien – Où en sont -vos habitudes avec l’alcool ? »
Quoi en faire ?
Cela dépend du patient, de la connaissance que nous avons de lui, de notre lien etc…Cela sera évidemment différent si c’est un.e patient.e que l’on est amené à voire une fois par mois ou seulement à l’occasion…
D’expérience, nous savons qu’il faut souvent dire et redire plusieurs fois les mêmes choses en consultation pour qu’elles soient un jour entendues.
- Situer la consommation décrite par le patient dans la zone de risque ; usage simple ou à risque et la lui Bien souvent les patients sont étonnés de leur propre consommation dont ils sont devenus tolérants et qui ne leur fait rien.
- Se garder de donner tout de suite un conseil quelconque, demander au.à la patient.e ce qu’il.elle en pense ce qu’il.elle souhaite et l’encourager dans le sens d’une expérimentation d’un changement suggéré par lui.elle
- Si le-a patient-e n’a pas d’idée ou ne souhaite rien changer et s’il-elle semble être dans une zone à risque ; proposer des alternatives ; exemple : si vous changiez quelque chose, souhaiteriez-vous plutôt changer la quantité consommée ou la fréquence des consommations ? Les réponses ne sont alors pas obligatoires ; l’essentiel réside dans le questionnement
- Eventuellement si cela est adéquat : rappeler quelques risques de la consommation d’alcool : accidents, maladies somatiques et psychiques dont l’alcoolo-dépendance qui peut s’installer avec le temps sans bruit.
- On peut aussi donner un petit livret du type « ALCOOL, vous en savez quoi ? [c]»
Au cas où un patient exprime une difficulté avec sa consommation d’alcool :
- Garnir son carnet d’adresse des coordonnées des CSAPA[d] du territoire ; essayer de connaître leurs modes d’accueil, différents pour chaque centre ; avoir les plaquettes sous la main.
- Connaître l’existence des associations d’entraide (associations de malade) ou se les procurer auprès du CSAPA.
- Connaître les ressources hospitalières en addictologie « publique et privée »
- Le recours hospitalier est rarement souhaitable avant la mise en place d’un soutien ambulatoire solide qui pourra (devra) se poursuivre après l’éventuelle hospitalisation.
Références
- Outil d’aide au repérage précoce et intervention brève : alcool, cannabis, tabac chez l’adulte HAS / Service des bonnes pratiques professionnelles / novembre 2014 14
- Richard JB, Andler R, Cogordan C, Spilka S, Nguyen-Thanh V, et le groupe Baromètre de Santé Publique France 2017. La consommation d’alcool chez les adultes en France en 2017. Bull Epidemiol Hebd. 2019 ; (5-6) :88-97
- GBD 2017 Risk Factor Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 84 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks of clusters of risks for 195 countries territories, 1990-2017: A systematic analysis for the Global Burden of disease Study 2017.Lancet.2018;392 (10159):1923-94
- Bonaldi C,Hill. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2017. Bull Epidemiol Hebd. 2019 ;(5-6) :97-108
- Cochrane EF Kaner ; 2007 ; Effectiveness of brief alcohol interventions in primary care populations;
- C; J McCambridge, 2011; an simply answering research questions change behaviour? Systematic review and meta-analyses of brief alcohol intervention trials:
- Daniel E Jonas ; 2012 ; Behavioral counseling after screening for alcohol misuse in primary care:a systematic review ant meta-analysis for the US Preventive Services Task Force :
- A O’Donnell; 2014 : UK ; The impact of brief alcohol interventions in primary healthcare: a systematic review of reviews.).
- Bourdillon F. Editorial. Alcool et réduction des risques. Bull Epidemiol Hebd. 2019(5-6) 88-9.
https://www.alcool-info-service.fr
https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/alcool
https://www.addictaide.fr/alcool/les-parcours-d-evaluation
https://www.drogues.gouv.fr
[a] FACE : acronyme anglais : Face Alcohol Consumption Evaluation
[b] Cf. encart en fin d’article
[c] Editeur : Santé Publique France : https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/alcool
[d] CSAPA : Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention des Addictions
Pour se familiariser avec les verres d’alcool / pdf à télécharger
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Le questionnaire FACE /pdf à télécharger
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Article Dr Anne Toulouse , Repérage Précoce et Intervention Brève en Alcoologie ( RPIB)