LA FABRIQUE DES CENTRES DE SANTE
(propos recueillis par le Dr Alain Brémaud)
La Fabrique est une association destinée à aider les porteurs de projets envisageant la création de centres de santé. Ensuite elle les aidera à maturer le projet politique de ces centres. C’est une structure d’aide, à la fois, à la décision et à la maitrise d’ouvrage.
Elle est née de la volonté de trois associations fondatrices : La Fédération Nationale des Centres de Santé, l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé et le Syndicat National des Chirurgiens-Dentistes de Centres de Santé. Celles ci étaient de plus en plus sollicitées par des porteurs de projets éventuels pour conseiller, aider, accompagner ces promoteurs puis leurs centres. Cela représentait des surcharges de travail, du temps, des coûts et des personnels dédiés dans ce domaine spécialisé. Cette situation a donc amené ces trois organismes initiateurs à créer la Fabrique des Centres de Santé.
Les demandes d’accompagnement qui se développaient régulièrement depuis 6 ans, ont été fortement dynamisées par la réussite de notre intervention auprès du Conseil Départemental de Saône et Loire. La démarche du Président de ce département et sa volonté de créer un réseau de 5 centres de santé point d’appui de 40 antennes maillant son territoire, traduisait un projet politique clairement établie avec une vision populationnelle à l’échelle de tout le département.
Nous savions que la réussite de ce modèle allait faire école et donc dynamiser les demandes des collectivités territoriales. Cela a d’ailleurs été le cas puisque depuis celles-ci ont explosé : une vingtaine de sollicitations depuis un an pour notre seule association et qui ont abouti à des projets en cours portés par des départements, des communautés de communes, des communes, parfois des associations.
Par ailleurs, d’autres collectivités sont dans cette démarche de création de centres de santé et ne passent pas forcément par nous, c’est dommage car elles se privent d’une aide qui est reconnue par tous nos partenaires comme précieuse par la qualité et l’expertise de ses intervenants.
Notre association fonctionne bien et devrait évoluer, au fil du temps vers une structure coopérative de création de Centres de Santé en étendant le champ des membres à d’autres fédérations de gestionnaires de centres de santé. Des contacts sont pris avec l’Union Nationale de l’Aide à domicile (UNA) qui a surtout une maîtrise des centres de santé infirmier et s’appui sur nous pour les centres médicaux et polyvalents.
J’en suis le président depuis l’AG du 26 octobre 2017. Mon rôle est surtout l’aide à la décision politique des porteurs de projets, plus particulièrement des collectivités locales, qui souhaitent savoir avant où elles vont mettre les pieds. Il s’agit pour eux d’appréhender la faisabilité de leur projet, les guider pour l’analyse de la situation et leur présenter un modèle économique viable. S’ils sont partant, vient ensuite l’établissement d’un devis pour déterminer le du coût de l’accompagnement. Quand ce dernier est validé il s’agit ensuite de mettre en place cet accompagnement qui sera réalisé par des intervenants de la Fabrique. Cette première phase consiste en réunions avec les présidents d’exécutifs de ces collectivités : communes, communautés de commune, départements, associations.
L’accompagnement est le plus souvent mis en place par des intervenants, issus eux aussi du monde des centres de santé, recrutés à cet effet et prenant en charge une mission. Pour ma part j’interviens sur certains dossiers plus réduits en temps, mais pour les gros dossiers qui nécessitent beaucoup d’investissements sur le terrain ce sont ces intervenants qui officient.
Il s’agit d’accompagner ces promoteurs
Nous suivons des projets dans toutes les régions de France, y compris outre-mer. Les porteurs de projets sont de différentes natures ; collectivités locales, communes, communautés de communes, conseils départementaux ainsi que quelques associations de professionnels ou de citoyens qui envisagent de porter à terme un projet sur le modèle participatif et coopératif des SCIC.
La Fabrique a d’ailleurs signé une convention de partenariat avec la Confédération Générale des SCOP pour que nous ayons un portage conjoint de ces projets, toutefois la situation des ces nouveaux modèles organisationnels n’est pas encore totalement stabilisé, plus particulièrement pour leur équilibre économique. Je ne parle pas des grosses machines dans laquelle des partenaires institutionnels apportent financement ou visibilité pour les établissements de crédit mais pour les petites structures qui n’étant pas adossées à des partenaires solides financièrement auront de grandes difficultés à monter un projet qui puisse faire face aux besoins de trésorerie des 3 premières années avant que ne soit atteint le seuil d’équilibre.
Les projets sont actuellement surtout en Régions et en particulier pour des centres de santé en territoires semi ruraux ou dans des villes moyennes.
Pour ce qui concerne le type de centres de santé, nous avons établi, à la Fabrique, une charte éthique qui fait que nous n’accompagnons pas de structures à but commercial.
Nous n’accompagnons pas non plus à ce jour de centres exclusivement dentaires car le premier besoin est en offre de soins primaires, plutôt des projets médicaux car ils répondent aux besoins des territoires. Ces projets étaient jusqu’à présent plutôt peu pris en compte car l’équilibre économique semblait hors d’atteinte. Les négociations que la FNCS a menées ces dernières années ont permis d’apporter les ressources presqu’à la hauteur des besoins. Il demeure encore quelques discriminations dont sont victimes les centres, que ce soit sur le forfait structure dont nous ne bénéficions toujours pas ou sur les montants des aides à l’installation inférieurs à celles des libéraux, mais nous sommes sur le bons chemin et l’équilibre économique des centres est désormais possible.
Quant au mode de rémunération des professionnels du futur centre, il dépend des choix du gestionnaire, mais , sans contrainte de notre part, nous leur préconisons le paiement à la fonction des soignants sur la base des grilles de rémunération de la fonction hospitalière (FPH) pour les médecins ou les sages-femmes.
Pour l’instant la taille de ces centres est variable pouvant aller de deux professionnels soignants à une dizaine au démarrage avec ensuite des développements progressifs dû à l’évolution de l’offre libérale structurellement à la baisse dans les territoires.
A sa création, un centre de santé rencontre des difficultés budgétaires les trois premières années car d’emblée il y a toutes les dépenses fixes qui sont complètes alors que la montée en charge des recettes se fait au fil du temps. Dès le début il faut se constituer une activité, une patientèle, obtenir des financements, rentrer dans les indicateurs de l’accord national pour bénéficier de ses dispositifs financiers. Tout cela se fait progressivement et l’ensemble de ces recettes se concrétisent à N + 1 et sont stables au bout de trois ans. Cela justifie une montée en charge également progressive des recrutements selon la demande de la population et selon l’activité (ce qui peut créer des difficultés avec certaines Caisses qui appliquent rigoureusement les termes de l’Accord National et ne délivrent les aides à l’installation que pour la première année de création, voire la seconde mais pas au-delà. Ainsi il faut estimer à trois ans la montée en charge, pour 3 praticiens, si le 3ème praticien est recruté la 3ème année, le centre ne percevra pas les aides (minorées) à l’installation auxquelles il aurait droit en territoire déficitaire.
Avec une file active de 3600 patients ces 3 MG permettront pourtant, grâce aux dispositions de l’accord national et aux recettes d’actes, d’équilibrer leur centre.
Cela signifie que le promoteur d’un centre de santé doit avoir au moins une trésorerie de 150 à 200.000€ la première année pour un petit centre ou de 400.000€ pour une plus grosse structure afin de faire face au coût de démarrage en sachant que, passé ces années de difficultés financières, dès la 4e année le gestionnaire du centre peut constater, outre la satisfaction de la population et la réponse à ses besoins, qu’il est arrivé à l’équilibre budgétaire.
J’insiste sur cette discrimination entre les aides à l’installation pour les médecins libéraux et les centres de santé. Pour un médecin libéral l’aide est de 50.000€ et chaque médecin supplémentaire dans la même structure (Maison de santé par exemple) ce sera 50.000€ également, soit par exemple pour 4 médecins 200.000€. Pour un centre de santé l’aide sera de 30.000€ pour le premier médecin puis de 25.000€ pour les 2 suivants et plus rien après, soit 80.000€ pour 4 médecins… cherchez l’erreur ! La nécessité des financements d’aide à la création est capitale.
Pour ce qui est de la Santé publique, ses actions sont intégrées dans le projet et sont mises en place selon le modèle économique et les financements possibles.
Pour ce qui concerne les centres de santé créés par des conseils départementaux ceux-ci peuvent porter des actions de santé publique dès la première année. En effet les départements sont autorisés à créer des centres de santé si ceux-ci embarquent leurs missions obligatoires que sont la PMI-CPEF, le handicap, les personnes âgées, il leur est donc facile, car dans leur périmètre habituel, de faire porter par leurs centres la prévention de l’obésité infantile, le dépistage bucco dentaire, les vaccinations, l’accès à la contraception, la prévention des IST chez les jeunes… Celles ci peuvent être portées par les centres de santé concrètement et sans conséquences budgétaires pour la collectivité. Par exemple le conseil départemental de Saône et Loire avait décidé de consacrer 30% du financement de ses centres correspondant au portage des missions de santé publiques ainsi réalisées par les centres et sans incidence majeure sur son budget global départemental.
En général, lors de la création d’un centre, au début du fonctionnement de celui-ci, les candidatures que nous constatons sont surtout celles de médecins expérimentés, avec une moyenne d’âge entre 50 et 55 ans, souvent épuisés par une pratique libérale usante et qui sont très heureux de pouvoir poursuivre un métier qu’ils aiment par-dessus tout sans poursuivre ce rythme qui les tue et sans charge de gestion.
Puis quand le centre a démarré arrivent les candidatures de plus jeunes praticiens, rassurés par la présence des anciens sur lesquels ils peuvent s’appuyer.
Plusieurs choses.
D’abord, la satisfaction de voir le modèle de centres de santé de plus en plus reconnu comme réponse adéquat à l’organisation sanitaire ambulatoire moderne. Que ce soit de la part des usagers ou des populations en devenir de l’être, des professionnels de santé et des porteurs de projets.
A noter que pour ces derniers (maires, présidents de communautés d’agglomération, présidents de conseils départementaux) ceux-ci sont d’horizons très divers politiquement.
Ensuite, le plaisir de voir se développer le modèle des centres de santé départementaux qui représentent à mon sens le meilleur modèle d’avenir du fait de leur légitimité territoriale et du maillage sanitaire qu’ils peuvent constituer permettant ainsi de mieux réduire les inégalités sociales et territoriales de santé.
Enfin, le constat que l’on se dirige de plus en plus vers ce que nous espérons pour l’avenir : la création d’un statut d’établissement public de santé ambulatoire pour les centres de santé, avec un statut de praticien ambulatoire salarié communs pour tous les centres.
Dans cet esprit la perspective de voir plusieurs promoteurs locaux s’associer autour d’un projet sanitaire est également satisfaisante.
La création d’un diplôme qualifiant et d’un statut de coordinateur des structures de soins (centres et maisons de santé) devrait contribuer à cet ensemble. D’ou l’importance des formations engagées dans cet esprit par la FNCS et la Fabrique avec l’école des Hautes études en santé publique et qui favorisera la constitution du regroupement de l’ensemble des professionnels de santé, des établissements de santé et médico-sociaux sur un territoire, avec les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, les CPTS.
En résumé, les perspectives pour les centres de santé me semblent porteuses d’espoir pour ceux-ci et la population qui bénéficie de leur activité, car leur modèle est désormais la base de la refondation de l’ambulatoire en France.
Ceci conforte également la pertinence de l’action de la Fabrique des centres de santé.
Pour en savoir plus, rendez vous sur le site de la Fabrique, https://www.lafabriquedescentresdesante.org/