Episode 1 : réflexions générales et débuts d’un projet de CPTS
Par Frédéric Villebrun, médecin généraliste, directeur de la santé, Champigny-sur-Marne (94)
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées par la loi de modernisation de notre système de santé (« loi Touraine ») du 26 janvier 2016. Elles ont pour objet d’assurer une meilleure coordination des actions des professionnels de santé de ville et ainsi concourir à la structuration des parcours de santé. Une CPTS se compose « de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours,(…) et d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé. »
En septembre 2018, ces organisations ont bénéficié d’un nouvel et puissant élan lors de l’annonce du plan « Ma Santé 2022 » par le Président de la République. L’objectif est de créer 1000 CPTS maillant le territoire national en moins de 4 ans. Un an après, plus de 400 projets et créations de CPTS sont répertoriés par les Agences régionales de santé (ARS).
Les centres de santé sont « en avance » sur les CPTS
Lorsque l’on travaille au sein d’une équipe pluri-professionnelle en centre de santé (CDS), on peut légitimement questionner l’intérêt de s’impliquer dans la création d’une CPTS. En effet, la coordination des professionnels en CDS polyvalent s’est considérablement développée au fil des années. Et particulièrement grâce aux incitatifs des conventions successives entre les centres de santé et l’Assurance maladie (Accord national).
Il est probable que les besoins de coordination interprofessionnelle sont plus importants chez les professionnels de santé libéraux. En effet, ils exercent encore majoritairement de manière isolée. Par ailleurs, leur nombre est bien supérieur à celui des professionnels des CDS. Face à l’ampleur de la tâche et au manque de disponibilité de chacun, on pourrait donc être tenté de laisser le soin aux professionnels libéraux de créer et d’organiser seul un réseau de santé de ville. De plus, la loi n’impose aucunement à un CDS d’intégrer la CPTS de son territoire. De ce fait, certains gestionnaires de CDS attendent les premiers retours des CPTS créées… D’autres vont même jusqu’à miser sur leur fin prochaine et préfèrent ne pas s’y impliquer.
Pourquoi alors s’intéresser aux CPTS ?
Comme tout pari, cela comporte des risques.
En effet, très rares sont les CDS à pouvoir assurer en totalité la prise en charge des soins ambulatoires des patients recourant à leurs services. Il manquera a minima soit un service de biologie ou de radiologie. Ou encore une infirmière à domicile, un kinésithérapeute, une orthophoniste, une assistante sociale, etc. En 2019, il est donc exceptionnel qu’un CDS fonctionne en autarcie pour les soins de ville (sans même ajouter les pharmaciens). De ce fait, une meilleure collaboration entre les professionnels libéraux, acteurs sociaux, médico-sociaux, les PMI, les CMP et les CDS constitue nécessairement un gain d’efficience pour les CDS. En participant à la création de la CPTS du territoire, les CDS apprennent de la coopération avec tous ces acteurs de santé. Par là-même, les CDS pourront améliorer leur organisation en interne.
De manière plus prosaïque, tous les territoires feront partie d’une CPTS en 2022. Si la CPTS n’a pas intéressé d’emblée un CDS de son territoire, elle se constituera avec les acteurs présents, que le CDS décide ou non de l’intégrer par la suite. Or, plus tardive est l’entrée d’un acteur dans une organisation, d’autant plus faible est souvent son action dans celle-ci.
On verra par la suite les effets stabilisateurs et dynamiques observés lors de la construction pluri-partenariale d’une CPTS. Ces éléments proviennent de l’expérience – en cours – de création d’une CPTS initiée conjointement par les centres municipaux de santé et l’association des médecins libéraux de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).
De la CPTS… à un service public territorial de santé ?
Depuis de nombreuses années, le mouvement des centres de santé promeut la création d’un service public territorial de santé (SPTS). Il s’agirait d’un maillage territorial de centres de santé complémentaire aux hôpitaux publics qui permettrait à tous les habitants de bénéficier d’une prise en charge coordonnée en santé, sans reste à charge.
Les CPTS constituent à ce jour une forme de coordination en ville, non pas – encore – une offre de soins ambulatoire. Mais, il paraît plausible que ces organisations représentent le vecteur actuel le plus abouti pour parvenir à une forme de SPTS. Les choix d’organisation des CPTS appartiennent – par la loi actuelle – aux acteurs de terrain. C’est une raison suffisante pour que les professionnels des CDS s’impliquent dans les CPTS. Pour promouvoir des actions en lien avec les valeurs des CDS, notamment l’accès de tous à la santé.
Ce qui fait le projet de santé de la CPTS dépend de ses membres, de leurs actions, de leur coopération et des valeurs qu’ils portent. Dans le cas du projet de CPTS de Champigny, l’accès pour tous à des parcours de soins en secteur 1 et la diminution du renoncement aux soins sont des objectifs prioritaires portés par les CMS et les médecins généralistes libéraux. A terme, un travail pourra être mené en direction des professionnels libéraux pratiquant des dépassements d’honoraires et souhaitant intégrer la CPTS. Ils seront invités à réserver des consultations et des soins conventionnés sans dépassement pour des patients orientés spécifiquement par les centres municipaux de santé (CMS) et les généralistes libéraux en secteur 1.
Comment créer une CPTS associant libéraux et CDS ?
Lorsque le territoire comporte un ou des CDS, la mixité des porteurs de la CPTS, libéraux et salariés, est essentielle. Pour Champigny, l’enjeu de démographie médicale sur la ville et la signature récente du contrat local de santé (CLS) a rapproché les CMS et les médecins libéraux. Depuis 2007, près de 50% des médecins généralistes libéraux n’ont pas été remplacés. De nombreux médecins généralistes libéraux n’acceptent plus de nouveaux patients souhaitant les déclarer comme médecin traitant. En outre, le délai moyen d’un rendez-vous en médecine générale dans les CMS est passé de 8 à 15 jours en moins de 2 ans.
Dans ce contexte, la volonté d’une collaboration plus étroite entre médecine libérale et CMS a fait naître le projet de CPTS. L’association des médecins libéraux et la direction de la santé de la Ville ont rédigé une lettre d’intention pour la création d’une CPTS. Adressée fin 2018 à l’Agence régionale de santé (ARS), il s’en est suivi en mai 2019 l’allocation d’un fond d’amorçage de 30 000 € pour accompagner la création de la CPTS. Cette subvention permet actuellement de rémunérer un chargé de projet et d’indemniser les participants aux groupes de travail pour l’organisation de la future CPTS. Le choix de recruter un chargé de projet de profil « master en santé publique » a été préféré à celui d’une prestation par un cabinet de consultants. Ses principales missions sont l’organisation de réunions, la rédaction du projet de santé et des statuts de la future association portant la CPTS. En proximité, le chargé de projet acquiert une connaissance fine des besoins du territoire et des objectifs des professionnels. Cela permet une formulation adéquate du projet de santé de la CPTS. Et aussi une meilleure adaptation des axes d’intervention aux besoins des usagers et aux spécificités du territoire.
Vous pourrez lire dans la prochaine newsletter de l’USMCS quels ont été les freins à la mise en place d’une coopération entre médecins libéraux et les CMS, les moyens pour les dépasser, ainsi que la réflexion sur la gouvernance de la future CPTS.