Après avoir été médecin responsable des centres municipaux de santé (CMS) de la Ville de Saint-Denis (93), le Dr Frédéric Villebrun, médecin généraliste, est actuellement directeur de la santé de la Ville de Champigny-sur-Marne, ville du Val de Marne (94) qui gère deux centres municipaux de santé. Il a rejoint les centres de santé à l’occasion de l’étude EPIDAURE-CDS qui a notamment permis d’analyser les bénéfices des activités des centres de santé pour leurs usagers et particulièrement pour les plus vulnérables . C’est donc dès 2008 qu’il contribue à ce travail puis exerce comme médecin généraliste dans les CMS de Champigny et qu’il adhère l’Union Syndicale des médecins de Centres de Santé. Il s’y implique très rapidement, avec détermination. D’abord au conseil syndical de l’USMCS, puis à son bureau, il en est devenu le Secrétaire Général depuis plusieurs années sous la présidence du Dr Éric May. Ce dernier souhaitant passer le relai, il accepte d’être candidat à la présidence de l’USMCS, fonction à laquelle il est élu à l’unanimité le 7 juillet 2020.
Alain Bremaud : que représente pour toi cette nomination au poste de président de l’USMCS ?
Frédéric Villebrun:
Accéder à la présidence représente, je crois, la reconnaissance de mon investissement pour l’USMCS et ses orientations, ses combats, mais aussi signifie à titre personnel beaucoup d’engagements, de disponibilité, d’écoute, de pugnacité pour faire face aux responsabilités inhérentes à cette fonction. Il me faut assurer la continuité de l’action du syndicat, poursuivre les luttes qu’il porte dans le respect de ses valeurs, mais aussi représenter la relève, répondre aux nouveaux enjeux toujours plus nombreux pour les médecins de centres de santé et pour les centres eux-mêmes. Il faudra réussir une transition en harmonie les orientations antérieures, les changements sans rupture. Mais j’ai confiance car je serai aidé pour cela par trois éléments : le soutien et les conseils d’Eric May qui reste pleinement engagé et est devenu vice-président ; l’implication de tous les membres d’un bureau renouvelé et renforcé ainsi que ceux du conseil syndical ; et la connaissance des dossiers que j’ai pu acquérir en m’acquittant de la fonction de secrétaire général de l’USMCS depuis quelques années.
A.B.: Justement ton prédécesseur Eric May a marqué de son empreinte la vie de l’USMCS en présidant, avec énergie, à ses destinées pendant de longues années…
Frédéric Villebrun:
Ce dont nous devons tous le remercier. Remerciements pour ces 14 années pendant lesquelles il s’est investi à 100% à la tête de l’USMCS; remerciements pour avoir refonder et développer le Congrès national des centres de santé organisé par l’USMCS depuis 60 ans; remerciements pour avoir renforcé l’image de l’Union Syndicale en veillant à l’impact du Congrès, à la représentation des médecins de centres de santé auprès des institutions, à la communication avec la mise en place du site des Centres de santé et sa newsletter; remerciements pour avoir développé la capacité de l’Union à défendre les médecins des centres, les centres eux-mêmes ainsi que leur place et leur rôle dans le système de santé; remerciements pour son investissement dans la création de la Fédération de formation des centres de santé (FNFCEPPCS – Fédéforma-CDS), de l’Institut Jean François Rey, de la Fabrique des centres de santé, trois organismes où il a veillé à la place que devaient avoir les soignants et en particulier les médecins; remerciements pour avoir contribué à ce que des liens cordiaux se tissent entre la Fédération Nationale des centres de santé et l’Union syndicale des médecins de centres de santé.
Il a été aidé au fil des années dans tous ces engagements par des membres du bureau et du conseil syndical investis, expérimentés et dévoués.
A.B.: Eric May est vice-président du nouveau bureau et tu pourras donc compter sur son aide, son expérience, ses conseils. Par ailleurs, il y aura aussi autour de toi une équipe de médecins composant le nouveau bureau et aussi ceux qui sont au conseil syndical ?
Frédéric Villebrun:
Effectivement, une grande partie du bureau a été renouvelée à l’occasion de la dernière assemblée générale. La totalité de ses membres est syndiquée à l’Union depuis de nombreuses années. Le bureau ne manque donc pas d’expérience et veillera à conserver en mémoire l’histoire des centres et de nos batailles syndicales pour mieux s’en inspirer lors des prochaines luttes. De nouveaux postes ont été réinstallés ou créés : un poste supplémentaire de secrétaire générale adjointe, un poste d’archiviste, un poste de responsable de la communication. Les membres de la direction syndicale sont désormais majoritairement des médecins généralistes totalement consacrés aux soins, à la prévention et aux actions de santé publique, pour le plus grand nombre des femmes, rendant ainsi ce bureau représentatif de nos adhérent-e-s. Cette représentativité se manifeste également en termes de jeunesse et d’ancienneté.
A.B.: D’autre part comment vois-tu la poursuite des relations entre l’USMCS et ses différents partenaires: ceux de la famille des centres de santé, d’autres comme les organisations représentant les praticiens libéraux et enfin les mutuelles et autres groupements de gestionnaires?
Frédéric Villebrun:
Nous aurons à cœur de poursuivre et renforcer les bonnes relations que l’USMCS a entretenue avec les organisations du mouvement des centres de santé de manière active et contributive, en particulier avec les différentes organisations gestionnaires ( mutualistes, associatives, les collectivités territoriales… ), tout en veillant à défendre les médecins, leur statut, leur fonction, leurs conditions d’exercice, leurs modes de rémunération quel que soit le type de centre où ils exercent. Il sera aussi nécessaire de renforcer nos coopérations avec le syndicat des chirurgiens-dentistes de centres de santé et avec les autres organisations de professionnels de santé des centres, infirmières notamment. Enfin, je souhaite que nous renforcions nos échanges avec les représentants des médecins libéraux, avec les organisations de jeunes professionnels de santé, au-delà des contacts que nous avions déjà régulièrement..
A.B.: Quelle est la situation des centres de santé actuellement sur l’ensemble du territoire national ?
Frédéric Villebrun:
Au delà d’une grande diversité, il faut considérer trois éléments qui me semblent important dans le paysage actuel :
– Tout d’abord le développement quantitatif, au fil des années et de manière croissante, du nombre de centres de santé et donc de médecins qui y travaillent. Ce point est très important et très positif : beaucoup de centres ont été créés depuis 10 ans, de tailles variables, dans différentes régions, avec divers types de gestionnaires. Mais parallèlement il nous faut mener une bataille de conviction afin que ces centres, ceux qui les initient et ceux qui y exercent partagent les valeurs de l’USMCS
concernant l’exercice médical, la coordination, un salariat fondé sur le paiement à la fonction, les pratiques d’équipe, la pluri-professionnalité et la santé publique,… Nous savons que la majorité des médecins qui ont rejoint les centres de santé récemment créés partagent déjà ces valeurs.
– Ensuite le constat du désir toujours croissant des nouveaux médecins de se diriger vers un exercice salarié. Malheureusement, malgré les nombreuses créations de nouveaux centres, celles-ci ne suffisent pas pour absorber les demandes d’embauche de ces nouveaux médecins.
– Enfin, se profilent de nouveaux modes de financements des centres de santé qui peuvent être porteurs d’espoir en termes de créations de centres et de postes de soignants
A.B.: Comment vois tu l’avenir des centres de santé? Et quelles sont les batailles importantes que mènent actuellement l’USMCS ou bien celles qui s’annoncent ?
Frédéric Villebrun:
Je dirai que je suis optimiste pour l’avenir des centres et, en même temps, prudent sur la capacité de ceux-ci à bien être des modèles en termes de pratique pluri-professionnelle, d’exercice coordonné, d’actions de santé publique. A ce dernier propos, il faut insister sur l’importance d’un temps hors soins pour les professionnels de santé et notamment les médecins.
Pour ce qui est des batailles en cours ou à venir, deux me semblent essentielles : celle contre l’ouverture au secteur lucratif du label centre de santé et celle pour la mise en place d’un service public territorial ambulatoire de santé que nous appelons de nos vœux dans l’intérêt des populations.
A.B.: La crise sanitaire actuelle liée à la Covid a été un révélateur pour ceux qui n’avaient pas perçu les méfaits d’une politique sanitaire tournée vers les intérêts commerciaux et financiers plutôt que vers les besoins sanitaires des populations. Cette crise a montré les effets néfastes de la pénurie organisée depuis de longues années et aggravée encore ces dernières années. Comment les centres de santé se sont ils comportés dans ce contexte ? Quelles avancées ont ils soutenues ? Quelles contraintes ont-ils subies ?
Frédéric Villebrun:
Cette crise sanitaire a été un révélateur des difficultés de la médecine de ville, de son incapacité à mettre en œuvre une gestion programmée et organisée de réponses territoriales à cette pandémie et cela malgré l’investissement conséquent de nombre de collègues libéraux, de belles initiatives de CPTS naissantes ainsi que des efforts des personnels soignants hospitaliers. Toutes ces difficultés ont été bien sûr et d’abord la conséquence de la politique gouvernementale, qui dans cette crise qui n’est pas finie, est apparue, pour le moins incertaine et brouillonne, à l’image de sa stratégie en matière de port du masque et de celle en matière des tests. Elle a surtout totalement négligé la médecine de ville et particulièrement, les acteurs de soins primaires. … Alors que tous les voyants sont au rouge et que la deuxième vague a débuté, on ne peut que regretter ( et s’inquiéter ) qu’à ce jour aucun bilan, aucun retour d’expérience n’aient été faits et qu’aucun enseignement n’ait été tiré de cette gestion de la crise.
Pour autant, les centres de santé ont pour beaucoup joué le rôle d’aiguillon, seuls à à convaincre certaines ARS de la nécessité d’ organiser une réponse structurée pour faire face à cette crise sanitaire. Ils ont été à l’initiative de la création de nombreux centres COVID et de centres de consultations dédiées.
Ainsi, à l’occasion de cette crise, les centres de santé ont démontré la pertinence d’un service public ambulatoire et territorial maillon de base du système de santé.Ils sont la réponse organisée aux besoins de santé des populations et à l’accessibilité sociale de celles ci à l’offre sanitaire.Tout cela doit se faire sans exclusion mais en coopération avec les CPTS et bien sûr les professionnels de santé libéraux.
A l’issue de cette crise sanitaire quels seront les choix et les engagements du gouvernement pour la santé ? On peut tout craindre après un « Ségur » de la santé hospitalo-centré et de toute façon décevant car ne remettant pas en cause les orientations néfastes concrétisées avant la crise par ce même gouvernement.
A.B.: Mais alors l’avenir de la santé en France ?
Frédéric Villebrun:
Dans les semaines précédant l’arrivée de la pandémie dans notre pays, les pouvoirs publics ne faisaient pas cas des nombreux manifestants qui dénoncaient le manque de moyens pour répondre aux besoins sanitaires. La crise sanitaire a été le catalyseur, le révélateur de cette situation. Sera-t-on demain au service réel de la population pour répondre à ses besoins de santé ? ou bien privilégiera-t-on la rentabilité? Les syndicats comme le nôtre vont avoir un rôle essentiel à jouer pour promouvoir l’offre de soins, l’offre de santé pour tous.
A.B.: Dans l’immédiat, quels sont les axes de travail, les objectifs de l’USMCS ?
Frédéric Villebrun:
Nous allons augmenter tous nos efforts pour réaliser nos missions. Nous allonspour cela renforcer la communication, mieux accompagner les adhérents en créant de nouveaux supports et outils. Dans cette perspective, nous allons appeler les praticiens des centres de santé à adhérer encore plus nombreux à l’USMCS.
(1)Enfin, l’USMCS a maintenu la tenue du 60 eme congrès national des centres de sante malgré le contexte difficile, aidée en cela par tous les membres du comité d’organisation et de nombreux partenaires actifs. Il aura lieu les 15 et 16 octobre 2020 à l’ASIEM, 6 rue Albert de Lapparent 75007 Paris. J’encourage tous ceux qui travaillent dans les centres de santé, ceux qui les promeuvent, les initient, ceux qui sont nos partenaires associatifs ou institutionnels à s’inscrire et à venir nombreux à ce congrès dont le titre est cette année : « RECONSTRUIRE LE SYSTEME DE SANTE ».
Pour plus de détails concernant les nombreux sujets abordés, les divers colloques, débats, ateliers et les nombreux intervenants, j’engage chacune et chacun à se reporter au préprogramme consultable sur WWW.htttps//: lescentresdesante.com
(1)Cette interview a été réalisée le 28 septembre 2020 avant la décision de report du Congrès National des Centres de Santé prise le 6 octobre au vu de l’évolution de la situation sanitaire en Ile de France (NDLR)