En quelques années, l’exercice médical salarié en équipe pluriprofessionnelle est devenu un standard dans notre pays. Héritiers des dispensaires et affirmant leurs valeurs sociales, les centres de santé, territoriaux, mutualistes, associatifs, hospitaliers, ou encore appartenant à l’économie sociale et solidaire, sont devenus attractif pour les jeunes générations de professionnels de santé. Ils y trouvent des conditions d’exercice conformes à leurs aspirations et à leurs valeurs.
La dynamique de création de centres de santé s’est renforcée ces cinq dernières années[i]. Elle est soutenue par les initiatives de collectivités territoriales prenant à bras le corps la situation d’abandon vécue par 22 millions de français.
Pour autant, le modèle économique des centres de santé reste fragile[ii], encore tributaire d’un paiement à l’acte hérité d’un autre temps, valorisant injustement une médecine productiviste et superficielle, et de modalités tarifaires inadaptées aux enjeux du vieillissement, des maladies chroniques et de la prévention. Demain, le paiement des centres de santé dans les territoires sera peut-être (devra être enfin être ?) fondé sur des forfaits pour chaque patient, pris en charge dans sa globalité tout au long de l’année[iii]. L’équipe des professionnels organisera les soins et la prévention, au mieux des intérêts des patients. En améliorant l’accès aux soins, en évitant les hospitalisations inutiles, en agissant contre les inégalités sociales de santé si massives désormais, les chiffres officiels le soulignent[iv]. Pour une plus grande efficacité, et une meilleure pertinence des dépenses.
Alors, nouvelles responsabilités demain pour les centres de santé ? Oui, mais nouveaux devoirs aujourd’hui.
Le devoir de dire que nous sommes fiers de vivre dans un pays où la sécurité sociale solidaire, notre bien commun, offre à nos concitoyens, avec les mutuelles, l’une des meilleures protections sociales au monde[v].
Le devoir de dire qu’il nous faut préserver ce bien commun face aux dangers qui s’annoncent. Chacun a en mémoire cette décision inouïe de la Croix Rouge de vendre ses centres de santé à la chaine de clinique privée Ramsay[vi]. Avant que l’affaire ne capote, les professionnels commençant à fuire et l’acheteur redoutant de récupérer une coquille vide. C’est une autre chaîne de cliniques privées à but lucratif, Elsan, qui vient de racheter un centre de santé parisien pour en faire la tête de pont d’un futur réseau[vii]. C’est tout récemment une banque, le Crédit Agricole, qui annonce sa décision d’investir dans la télémédecine en recrutant des médecins salariés[viii].
Pouvons-nous laisser sans réagir le privé lucratif venir se servir dans les caisses de notre protection sociale ? A l’heure où nos concitoyens sont confrontés à des difficultés économiques inédites, alors que la finance qui gouverne le monde n’a jamais été aussi puissante, nous disons non.
Nous interpellons notre représentation nationale, nos élus territoriaux. Ne laissons pas faire. Il n’y a pas de place dans les centres de santé pour le privé lucratif. Il est temps d’agir.
Signataires
Alain Beaupin, président de l’Institut Jean-François Rey
Hélène Colombani, présidente de la Fédération Nationale des Centres de Santé
Eric May, président de la Fédération Nationale de Formation des Centres de Santé
Frédéric Villebrun, président de l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé