Par Fabien Maguin, gestionnaire administratif du centre de santé communautaire » La Case de Santé » à Toulouse
Le paysage des centres de santé voit depuis quelques années de nouvelles créations. Une vague récente est portée par des initiatives de collectivités territoriales. Une autre traduit l’émergence dynamique d’un modèle nouveau, porté par des associations et s’inscrivant dans des démarches en santé communautaire. La première s’inscrit assez clairement dans une logique d’offre de soins sur des territoires sous tension au regard de la démographie médicale. La seconde, cherche en matière d’offre de soins, à construire des réponses adaptées aux situations vécues dans des quartiers populaires, et à soutenir d’autres voies de production de la santé que le curatif.
Du premier caillou jeté dans l’eau, à Toulouse par la Case de Santé, à l’onde de création qui a vu ouvrir successivement la Place Santé à Saint-Denis, le Village 2 Santé à Echirolles, le Château en Santé à Marseille, Santé Commune à Vaulx-en-Velin, et naître des projets similaires à Lorient, Digne-les-Bains, Rennes, Nantes, Montpellier… c’est une histoire d’un peu plus de dix ans à présent. Dix ans dans un contexte de moins en moins défavorable, mais qui ne nous est toujours pas favorable !
Ces projets, portés par des collectifs s’inscrivant dans une histoire coopérative, poursuivent une intention alternative, en matière d’organisation des soins primaires tout comme en matière de gouvernance. Ils partagent des principes et des valeurs qui s’ajoutent à ceux qui rassemblent le mouvement des centres de santé : des principes de santé communautaire qui irriguent leur projet de santé, fonde des choix organisationnels, implique une réorientation des pratiques professionnelles, et invite à une prise de pouvoir des personnes sur leur santé et leurs conditions de vie.
Cette branche dynamique du mouvement des centres de santé apparait souvent bien sympathique, mais l’on mettra plus favorablement en avant telle municipalité voire tel conseil général à l’appui du développement des centres de santé. Encore plus si leur majorité politique est de droite, gage que ce modèle d’organisation des soins primaires est trans-partisan. Levons un peu le voile de sympathie pour s’intéresser vraiment à ce qui se joue avec ces nouveaux modèles de centre de santé. D’autant plus que les récentes décisions de la Préfecture de la Haute-Garonne à l’encontre de la Case de Santé mettent sous pression son modèle économique.
Il faut d’abord pointer que dans ce micro-paysage des centres de santé communautaire, la Case de Santé tient une place particulière. Moins pour l’antériorité de son initiative que pour son rayonnement métropolitain. Une réalité constante depuis plusieurs années : entre un quart et un tiers seulement des usager-e-s qui ont recours à la Case de Santé résident à proximité. Rayonnement métropolitain donc, mais dimensionnement de proximité. Ce dimensionnement c’est d’abord notre choix. Celui de proposer des lieux de santé de premier recours qui soient à échelle humaine et ancrés dans leur territoire.
Bien que la Case de Santé affiche la perspective d’ouvrir de nouveaux centres de santé sur son modèle dans d’autres quartiers toulousains, le soutien des pouvoirs publics manque de vigueur. En dépit de son rayonnement, la Case de Santé ne trouve de soutien financier de la part de la Ville de Toulouse qu’à hauteur de 1.2% de son budget, et de la part de Toulouse Métropole à hauteur de 0%… Nos demandes de réunion de travail avec les instances municipales et l’ARS Occitanie sur la question de la mobilisation de locaux dans les quartiers populaires pour l’ouverture de nouveaux centres de santé piétinent. Dans le même temps, les demandes émanant de MSP trouvent une oreille attentive et des mètres carrés disponibles. Même si ces MSP ne changeront fondamentalement rien à l’accès aux soins de la population des quartier d’implantation et représentent essentiellement un regroupement d’intérêt professionnel.
Cette situation subie perdure alors même que la Case de Santé a officiellement annoncé avoir atteint un point de saturation en juillet 2018. C’est là que le dimensionnement choisi avec le rayonnement que nous connaissons prend une tournure contrainte.
Comment un centre de santé engagé dans une dynamique de santé communautaire sur un quartier toulousain en est arrivé à tenir une place centrale à une échelle territoriale supérieure ? Le choix initial de s’implanter dans un quartier populaire de centre-ville marqué par une histoire d’accueil et d’usage pour les populations immigrées est un premier élément d’explication. L’intégration dans le projet de santé de l’objectif de cibler les situations d’inégalités sociales de santé et de construire des réponses qui visent à les réduire en est un autre.
Ces deux spécificités ont ouvert le projet de santé de la Case de Santé sur des populations établies sur l’ensemble du territoire toulousain. Mais il faut en ajouter d’autres. La dynamique en santé communautaire, les choix organisationnels visant à s’adapter et à lever les barrières dans l’accès aux soins primaires et aux droits (accueil inconditionnel de bas seuil ; intégration de l’interprétariat téléphonique dans les rendez-vous individuels ; ouverture accélérée de droits à la protection maladie…), et enfin le développement de compétences professionnelles spécifiques ont marqué le développement de la structure sur son territoire et sont autant d’explications à l’élargissement de notre périmètre d’action bien au-delà des limites de notre quartier d’implantation.
L’ensemble de ces réalités nous impose une exigence double dans l’organisation opérationnelle de nos missions. Intégrer le travail social au travail en santé. Diversifier les modes de production de la santé grâce aux interventions d’une équipe de médiation en santé, à l’ouverture d’espaces en santé communautaire, à l’intégration de la prévention et la promotion de la santé dans les pratiques des professionnel-le-s, à l’action directe sur les déterminants sociaux de la santé… Et pour l’ensemble de ce travail pluriprofessionnel il convient de donner du temps en rendez-vous, donner du temps en équipe pour de la coordination, donner du temps aux professionnel-le-s hors des rendez-vous. Et ces éléments sont démultipliés compte tenu de l’effet de concentration des situations les plus complexes du territoire toulousain en un seul et même lieu.
La reconnaissance de la pertinence du positionnement et de l’efficience des réponses apportées est confirmée par les usager-e-s toujours plus nombreuses et nombreux qui s’adressent à la Case de Santé. On comptait 1 450 personnes en 2014, et plus de 3 200 en 2018. Leurs caractéristiques indiquent aussi la place centrale de la Case de Santé : plus de 85% de ces usager-e-s connaissent des situations de vulnérabilité sociales importantes et 90% des usager-e-s sont de nationalité étrangère ; assuré-e-s à la CMUC et bénéficiaires de l’AME représentent 75% de la file active du centre de santé ; et la permanence téléphonique du Pôle Santé-Droits compte plus de 1 000 appels par an de professionnel-le-s pour la coordination des parcours des personnes accompagnées, ou pour des fonctions expertes d’appui…
Incidemment cela dit aussi les difficultés d’une partie des services de droit commun et de leur capacité à organiser une réponse adaptée aux besoins non satisfaits de la population la plus exposée aux vulnérabilités sociales. C’est dans ce contexte, et quelques temps après l’annonce par la gouvernement du lancement du plan Pauvreté, que la Préfecture de la Haute-Garonne a annoncé sa décision de couper tout financement à la Case de Santé.
Pareille décision, pour contestable qu’elle soit sur le fond[i], met en question le modèle économique de la Case de Santé. C’est un moyen de pression dans une tentative de nous voir abandonner l’accompagnement des plus vulnérables. Mais elle questionne profondément les perspectives du modèle de centre de santé communautaire.
Dans le contexte décrit de la Case de Santé, le modèle économique assis uniquement sur la rémunération à l’acte des soins réalisés complétée des rémunérations spécifiques de l’accord national ne peut tenir. Passons rapidement sur le système délétère du paiement à l’acte, il n’a jamais été pensé pour la rémunération d’équipe. L’accord national rénové présente de nombreuses limites pour nos modèles. Calibrage de la file active trop élevé réduisant la part variable de nos rémunérations, plafonnement du coefficient de sur-précarité (à 25%, notre réalité est de plus de 66% !), exclusion des bénéficiaires de l’AME du calcul de la file active, prise en compte des populations vulnérables dans la limite de 2% de la file active (80% à la Case de Santé !), valorisation des soins secondaires en structure de soins primaires alors que le travail social ne l’est pas… il y a de quoi faire progresser cet accord au bénéfice des centres de santé communautaire !
Il y a donc nécessité pour nous de mobiliser des financements sur les missions d’intérêt général assumées par la Case de Santé. Ces financements ne se trouveront pas sur les crédits de la politique de la ville dans la mesure où Arnaud Bernard n’est pas un quartier prioritaire de cette politique, et que la Préfecture, bien qu’une part significative de nos usager-e-s résident en « quartiers politique de la ville », refuse d’en discuter. Ce point corse encore le problème, à la différence de nos collègues des autres centres de santé communautaires.
Ces financements reposent sur les crédits des politiques de santé aux mains de l’ARS Occitanie, et les crédits des politiques sociales et ceux de l’accompagnement des populations immigrées aux mains des services préfectoraux. Côté ARS Occitanie, les discussions multipartenariales de 2014-2015 avaient permis de définir un périmètre contractuel intégrant intelligemment les différents axes de notre projet de santé (du travail pluridisciplinaire intégré au travail social d’accès aux soins et aux droits, en passant par la prévention), le niveau de financement n’a jamais évolué depuis. Or si les moyens sont reconduits, les besoins eux ont augmenté compte tenu de la très forte croissance du nombre d’usager-e-s.
On sait à présent que du côté de la Préfecture de la Haute-Garonne, pour des raisons politiques les crédits visant à la protection des populations vulnérables nous sont inaccessibles. Concernant l’accompagnement des populations immigrées, les cadrages nationaux et le choix de la Préfecture de rompre avec un acteur de terrain incontournable, privent de financement des actions d’accompagnement des vieux migrant-e-s , des étranger-e-s gravement malade, de l’intégration de la santé dans l’accompagnement des réfugié-e-s…
La Ministre de la santé et des solidarités, porteuse de la politique de santé mais aussi du plan pauvreté, s’est déclarée intéressée par le modèle émergeant des centres de santé communautaire en marge de dernier congrès des centres de santé.
Il est temps qu’elle s’en saisisse. Parce que la situation provoquée par la Préfecture de la Haute-Garonne est inepte. A ce seul titre, elle mérite un arbitrage ministériel. Il nous faudrait renvoyer les personnes vers d’autres structures ou d’autres professionnel-le-s, alors même qu’elles viennent vers la Case de Santé la plupart du temps pour n’avoir pas trouver de réponse satisfaisante. Il nous faudrait trier et refuser des personnes alors même que nous savons tou-te-s que cette option dégraderait objectivement leur situation de santé. Ces arguments doivent également amener la Ministre de la Santé à peser sur les décisions de financement sur les crédits du Ministère de l’Intérieur pour ce qui concerne la santé des étranger-e-s.
Il est temps de s’en saisir aussi compte tenu de ce que produisent sur leur territoire nos centres de santé communautaire. On ne peut plus nous opposer les réalités d’un modèle économique insatisfaisant tout en refusant de consolider ce modèle. Il y a de solutions spécifiques à trouver pour pérenniser nos modèles. On l’a vu, il y a des marges sérieuses d’amélioration dans l’accord national des centres de santé. Mais il faut aussi des décisions du Ministère de la santé, et un signal fort en soutien de nos dynamiques, de manière à impliquer les services de l’Etat et les collectivités locales en appui. Et notre horizon n’est pas à 2022, il est à 2019. Pour l’année 2018, c’est la solidarité et les soutiens financiers reçus qui nous ont évité le pire.
[i] On renverra aux communications de la Case de Santé de décembre 2018 sur la page Facebook de la Case de Santé et le site internet.