Alors que nous débutons un déconfinement à très hauts risques, la France compte à l’heure où j’écris près de 27 000 morts du Covid-19 dont plus de 13 000 résidents dans les Ehpad et autres établissements médico-sociaux, sans comptabiliser les décès en ville. Le bilan est accablant, le constat sans appel : la France n’a pas fait mieux face à cette crise que ses voisins européens, voire moins bien.
Incompétence, négligences, mensonges, revirements, incohérences, …, rien n’a manqué au tableau de la gestion calamiteuse de cette crise par nos dirigeants : au démantèlement des hôpitaux et services de santé publics qui s’est encore accéléré ces dernières années, à la surdité et au mépris affiché ces derniers mois face aux alertes des personnels hospitaliers et en Ehpad, ont succédé le scandale des masques et des tests trop longtemps indisponibles, celui des soignants privés de protection individuelle, l’abandon des Ehpad et de leurs résidents… La liste est longue et non exhaustive.
Force est de constater aussi que notre système de santé, tant vanté, tant admiré, s’est pourtant avéré inopérant. S’il a absorbé tant bien que mal cette première vague, c’est dans l’abnégation des soignants, leur sacrifice parfois, et au prix d’un confinement général et long qui a paralysé le pays, à défaut d’ une politique de santé digne de ce nom. Ce système de santé est en effet au bout du rouleau, miné par une dualité ville-hôpital et essoré par les politiques d’austérité qui lui ont été imposées et qui ont sacrifié l’intérêt général de la population sur l’autel de l’idéologie néo-libérale jusque dans le champ de la santé publique. Saurons-nous donc tirer les enseignements de cette crise ? Rien n’est moins sûr, si ceux qui nous ont précipités dans le mur restent les décisionnaires.
Pour autant, lors de cette catastrophe sanitaire, en parallèle des équipes médicales hospitalières, les acteurs des soins primaires, et les centres de santé notamment, ont démontré des capacités d’adaptation et apporté des réponses qui sont autant de pistes pour refonder à l’avenir notre système de santé et le rendre plus efficace, même en temps de crise.
Sommés comme tous les professionnels de santé de ville de suspendre le suivi de leurs patients, les centres de santé ont parfois vécu les premiers jours de la crise comme une « drôle de guerre », guettant les consignes des autorités sanitaires soudain silencieuses, qui avaient abandonné le terrain. Leurs activités stoppées ou réduites drastiquement, ils ont cherché leur place dans une crise dont on a vu trop longtemps la seule partie émergée – les décès qui s’accumulaient, les réanimations hospitalières qui débordaient – et qui ne paraissait pas les inclure.
Solidarité et résilience collective
Puis la réalité du terrain les a rattrapés ; les patients suspects de Covid étaient bien dans les villes, dans les quartiers, dans les rues, nombreux. En dépit des messages assénés dans les médias bien hâtivement conquis par le fard « high-tech » de la téléconsultation ou répercutant docilement les propos des gouvernants, beaucoup ont nécessité une consultation présentielle, un examen clinique indispensable (comment juger l’évolution de l’état respiratoire d’un patient par une consultation vidéo ou téléphonique ?) et très souvent, un accompagnement médicosocial et psychique. Car le Covid n’a épargné personne et surtout pas les patients vulnérables, les migrants, les populations en souffrance psychique ou sociale. Le Covid-19 a aussi mis en lumière, s’il en était besoin, les inégalités sociales de santé, sans là encore de réaction adaptée du gouvernement. Si la dramatique surmortalité en Seine-Saint-Denis en est l’illustration la plus visible, les centres de santé en ont été les témoins dans tous les territoires.
Dès lors, les équipes des centres se sont mobilisées, ont cherché et souvent su trouver, avec les autres acteurs de leurs territoires, des solutions pour garantir la prise en charge des patients Covid, en toute sécurité, tout en préservant la continuité des soins des patients chroniques et vulnérables. Face à une situation évolutive d’un jour à l’autre, solidarité et résilience collective ont été les moteurs des professionnels des centres et des collègues libéraux qui se sont organisés là où l’Etat a déserté – c’est-à-dire à peu près partout -, avec pour seul objectif, l’intérêt général.
Centres dédiés Covid, acteurs des coordinations territoriales au sein des CPTS ou créées à l’occasion de cette crise, les centres de santé ont été de toutes les initiatives. Même s’ils ont été peu visibles dans les médias, ils ont tenu pleinement leur place pendant les premières semaines de l’épidémie et la tiendront sans aucun doute encore plus dans la phase de tracing qui débute. Leur ancrage territorial, leur expertise en santé publique et leur mode d’exercice, pluriprofessionnel et coordonné, sont autant d’atouts en temps de crise. Combien de patients les centres de santé et leurs collègues libéraux ont-ils pris en charge, délestant d’autant les hôpitaux et leurs services d’urgence ? Beaucoup. On peut penser qu’il y en aurait eu encore davantage si les organisations avaient été opérationnelles plus tôt, dans le cadre d’une coordination entre médecines ambulatoire, hospitalière et SAMU, plus rationnelle et surtout, anticipée.
Mais le bilan reste amer : des professionnels de santé de ville sont tombés, victimes sans doute autant du Covid que des négligences de l’Etat, et la mobilisation des acteurs des soins primaires n’a pas permis d’éviter l’hécatombe dans les Ehpad, devant laquelle ils sont restés démunis dans l’organisation actuelle.
La crise a aussi ouvert des perspectives
Pour autant, la crise a ouvert quelques perspectives pour le système de santé qui méritent d’être explorées à l’avenir.
Les organisations nouvelles mises en place par les professionnels des soins primaires pour faire face à la crise l’ont été au service de la population, sans exclusion, et dans le cadre de l’intérêt général. Dans les centres Covid, nombre d’acteurs, dont les centres de santé, ont demandé et obtenu le principe de rémunérations forfaitaires à la mission, en lieu et place de la rémunération à l’acte avec pour bénéfice la dispense de frais des patients et l’accessibilité aux soins de tous, y compris des plus démunis. Ces organisations ont démontré que les acteurs de soins primaires étaient capables, au-delà des batailles de chapelles, de se coordonner et d’articuler leur action au sein de l’ensemble avec efficacité quand l’objectif fait sens pour tous.
Organisation coordonnée au service de la population d’un territoire, rémunération forfaitaire, mission d’intérêt général …. A y regarder de près, l’épidémie du Covid 19 ne révèlerait-elle pas le bien-fondé et l’impérieuse nécessité d’une organisation que les médecins des centres de santé appellent de leurs vœux depuis toujours, un service public de santé territorial dans une articulation ville-hôpital rationnelle et coordonnée ? Et au lendemain de la crise, quand il faudra rebâtir un système de santé plus efficace et plus solidaire, ce service public de santé de proximité ne devrait-il pas en être la première pierre ?
* Cette tribune a été publiée dans le Quotidien du médecin, le 19 mai 2020.