Par Docteur Thierry Clément, Médecin directeur du CMS d’Aubervilliers de 1997 à 2011
Jean Buisson, médecin, ancien directeur du centre municipal de santé d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), ancien maire adjoint PCF de Livry-Gargan, officier de l’ordre national du mérite est décédé à l’âge de 82 ans le mardi 5 mars 2019.
Parler de Jean Buisson, le médecin, le clinicien expérimenté, l’homme de terrain, de ses multiples engagements n’est pas chose aisée. L’ayant remplacé au centre de santé en 1997, je sais combien ses patients lui étaient attachés. C’était un homme dévoué, attentif et disponible. Pour beaucoup son départ a été vécu comme un déchirement, la perte d’un proche, d’un confident, et assurer sa succession n’a pas toujours été facile.
Je me souviens que lors de son départ en retraite, le 22 juin 1997, Jack Ralite nous avait rappelé, devant sa famille, ses collègues et ses nombreux ami-e-s, ce que furent les premières années de sa vie :
« Jean Buisson, avait-il dit, est né à Provins, dans l’immédiat après-guerre, où ses parents tenaient une bijouterie-horlogerie, son père étant aussi artisan. Il a une sœur Bernadette née après la guerre… Bachelier à 16 ans il quitte Provins pour Paris faire Médecine. Paris c’est d’abord pour lui la découverte, la liberté, le cinéma, le jazz et bien sûr les études et à l’hôpital Laennec, en 1957 la rencontre avec une infirmière, Viviane, qui deviendra sa femme en 1959. Ils auront ensemble quatre filles. »
Jean Buisson fût un personnage clef de la ville d’Aubervilliers. Comme aimait le dire Jack Ralite, Il a mis en place au centre de santé « des innovations que la loi ou pour le moins l’organisation de la Santé n’avait pas prévues ». Sa vie personnelle, sa vie professionnelle, sa vie politique et syndicale « composantes indissociables » comme le disait encore Jack Ralite furent guidées par la nécessité de servir l’autre.
Passionné par la pratique médicale et le travail en équipe, il intègre le centre de santé d’Aubervilliers en 1965 comme médecin vacataire et en deviendra le médecin directeur de 1970 à 1997 mais également directeur du Service Communal d’Hygiène et de Santé. De 1969 à 1997, il fut à l’hôpital Avicenne, assistant dans le service de rhumatologie puis attaché de consultation, et fut nommé praticien hospitalier en 1990. Ce positionnement lui permis de tisser des liens forts avec l’hôpital Avicenne et de nombreux médecins du CHU ont assuré des consultations « avancées » au centre Dr Pesqué. Je cite à ce propos un passage de son discours du 27 octobre 1989 pour les 25 ans du CMS évoquant les grandes évolutions techniques dont ne pouvait se doter le centre :
« Est-ce dire qu’une telle structure sera périmée demain ? Je suis sûr du contraire. Entre ces établissements de haute performance technique et les praticiens exerçant sous forme individuelle le fossé risquerait de se creuser aux dépens des malades si des établissements comme le nôtre, lieu de rencontre, d’investigations ambulatoires, de pratique pluridisciplinaire eu plus près des gens ne jouaient pas un rôle essentiel »
En 1976, il participait avec d’autres grands noms des centres de santé (Jean Reigner, Georges Godier, Jean François Rey) et des jeunes médecins de l’époque (Joël Le Corre, Marc Schoene, Jean Luc Gallais) à un numéro de la revue du praticien qui réunissait les responsables des médecins de groupe libéraux et ceux exerçant en centre de santé autour du thème « des différentes formes d’exercice de la médecine praticienne en équipes » ; et cela plus de 40 ans avant que ces sujets ne deviennent les points récurrents de l’actualité de l’organisation de notre système de santé. Je cite quelques extraits de son article :
« Les médecins de centre de santé ne se contentent pas d’un exercice l’un à côté de l’autre, mais veulent pouvoir exercer ensemble »… « Qui dit équipe médicale dit travail en équipe, non seulement entre médecins mais, également avec d’autres professionnels de santé, notamment les infirmières, les kinésithérapeutes, les dentistes, les puéricultrices à domicile, là où elles existent, et avec les travailleurs sociaux »
« Le fait le plus important de l’évolution est me semble-t-il la volonté des jeunes médecins de pouvoir exercer dans de telles structures médicales… » car ils « souhaitent exercer au sein d’une équipe pluridisciplinaire, permettant une meilleur organisation de leur travail… »
« Nous constatons une évolution vers une prise en charge plus globale de la personne associant prévention et soins »
« Il est nécessaire que soit trouvé avec la sécurité sociale un autre mode de rémunération du fonctionnement, que le seul paiement à l’acte… »
Il a conçu le centre de santé comme complémentaire à médecine libérale de ville et à l’hôpital. Il a également développé une politique de prévention sur la Ville et mis en œuvre nombre d’actions de santé publique notamment en direction de la jeunesse dont la continuité fut ensuite assurée par le Service Communal d’Hygiène et de Santé.
On ne peut parler de Jean Buisson sans évoquer son engagement auprès des patients confrontés à des problèmes d’alcool. Ceux-ci, délaissés par la médecine, ne trouvaient pas jusqu’alors de structures et des professionnels formés et à l’écoute de leurs difficultés. Sensibilisé par une association d’anciens buveurs dans le cadre de son activité hospitalière, il va s’atteler à améliorer la prise en charge de ces patients. Dès 1970, il crée des consultations d’hygiène alimentaire. Suite à la circulaire de Simone Veil en 1975, le premier Centre d’Hygiène Alimentaire voit le jour au sein du centre de santé d’Aubervilliers. A la même période le Dr Buisson devient responsable de la capacité de toxicomanies et alcoologie à la faculté de Bobigny. Il était également expert auprès du HCEIA; Haut comité d’étude et d’information sur l’alcool. C’est l’origine des nombreux CHA qui vont ouvrir, grâce à ses disciples, dans d’autres centres de santé municipaux du département. Mais la bataille n’était pas finie, et c’est en 1983, alors qu’il faisait partie du cabinet de Jack Ralite, alors ministre de la santé, qu’est rédigée la circulaire sur la création des CHAA.
Mais l’alcoologie et la collaboration avec l’hôpital ne furent pas les seuls champs d’innovation sur lesquels il s’aventura. Le centre de santé d’Aubervilliers fût également, au début des années 1970, un précurseur avec le Dr Joëlle Brunerie en matière de contraception et d’IVG. Cette activité avait été rendue publique en 1973 et la ville, tacitement solidaire de ce combat, permis la poursuite e ces avortements semi-clandestins. Elle fut encadrée légalement par la création du premier centre de planification au sein d’un centre de santé en 1974. (ref : http://archives.aubervilliers.fr/IMG/pdf/5c154_1994-10_opt_cle0bfcc8.pdf).
Rappelons également que Jean Buisson fut secrétaire général de l’Union Confédérale des Médecins Salariés de France de 1974 à 1977 et son président de 1984 à 1994.
Engagé contre la guerre en Algérie et les crimes perpétrés par l’OAS, Jean Buisson, entrera en politique en adhérant au parti communiste Français en 1962. Il fut en outre, adjoint au Maire dans sa commune de Livry-Gargan de 1983 à 2008.
Pour finir je laisserai le dernier mot à Jack Ralite dont il fut le collaborateur pendant toutes ces années :
« Tu es un homme de la prévention, un écouteur d’autrui, un coordinateur des médecins et acteurs de santé »
« Précurseur en légalité, solidaire en humaniste, je trouve que ça te va pas trop mal »
J’ai une pensée particulière pour sa sœur Bernadette, pédiatre en PMI et au centre de santé, très investie tant comme praticienne qu’en santé publique et dans le milieu associatif, avec qui j’ai travaillé avec bonheur de nombreuses années.
A sa femme Viviane, à sa sœur Bernadette, à ses quatre filles, Nathalie, Caroline, Myriam et Stéphanie nous disons toute notre émotion et notre sympathie.