Billet d’ humeur : PLAN SANTE 2022 ou poudre aux yeux? Par Alain Brémaud
Alors que les sondages mesurant la confiance des Français pour le président Macron et sa politique sont en chute libre et que les élections européennes approchent, il semble que le responsable de l’exécutif a choisi encore » la com » pour tenter de remonter la pente. Ainsi, lui qui pour beaucoup d’observateurs est le président privilégié des 1% les plus riches de notre pays, a présenté un plan « pauvreté » qui apparait bien « pauvre » en mesures et moyens par rapport aux enjeux. Il semble qu’il soit entré en campagne pour les élections européennes faisant des promesses électorales…Mais en est-il ainsi aussi du Plan Santé 2022 (date ou il souhaite être réélu) qu’il a tenu a présenté lui même comme le plan « pauvreté »…!
A. Quels sont les problèmes essentiels qui se posent à la population de notre pays en matière de santé:
-L’accessibilité sociale aux soignants, examens complémentaires, traitements. Rien dans ce plan n’évoque cette problématique alors que près de 9 millions de personnes doivent chaque année renoncer aux soins dont ils ont besoin. Rien sur les prises en charge par la sécurité sociale, rien pour remettre en cause les déremboursements successifs.
-La prévention, les actions de santé publique, l’éducation sanitaire sont le parent pauvre de notre système de santé et avec ce plan ils le resteront. Toujours des plans de prévention édictés chaque année sans que soit envisagé qui seront les effecteurs obligés afin que ces plans soient réalisés de manière homogène sur l’ensemble du territoire. Pire, rien sur la santé au travail, la santé scolaire, la médecine sportive, la PMI,…Au contraire, la mise en place d’un service sanitaire obligatoire pour les étudiants soignants, afin qu’ils assurent ( quelques semaines chacun) les actions de prévention, illustre la haute idée que notre gouvernement se fait de la santé publique à l’échelon national.
-L’accès aux urgences et l’organisation de celles-ci bien peu évoquées.
-L’accessibilité territoriale aux soins qu’il faut envisager à deux échelons est considérée comme un problème organisationnel. D’ailleurs pour le président, les problèmes liés à notre système de santé sont seulement organisationnels et non liés à des problèmes d’effectifs, de moyens, de budgets.
En effet l’accessibilité territoriale est à deux niveaux: la présence sur un territoire des différents soignants nécessaires et par ailleurs que ceux-ci soient accessibles socialement, voire pratiquent le tiers payant.
Sur ce point, la réorganisation envisagée que nous étudierons plus loin n’est pas à la hauteur et peut même apparaître comme un écran de fumée.
B. Quelles sont les mesures « phares » évoquées dans ce plan:
-Réorganisation au niveau hospitalier. Les hôpitaux seront labellisés en trois niveaux (proximité, de recours et de référence) mais rien n’exclut la poursuite de la fermeture de lits et de services hospitaliers. Les praticiens hospitaliers auront un mode de recrutement et un statut uniques…tout en conservant des CDI. En contrepartie ces praticiens pourront plus facilement avoir un exercice mixte (exercer conjointement en libéral ou avoir une consultation privée à l’hôpital). Pour ce qui concerne les financements de ces établissements la T2A représentera 50% au lieu de 60% de leurs ressources. Création d’un mode de financement au forfait pour deux pathologies chroniques.
– Augmentation insuffisante du budget de la santé avec un Ondam à 2,5% qui risquent d’être grignotés considérablement par l’inflation actuelle.
-Suppression du Numerus Clausus: une bonne chose mais tout dépend de ce que sera vraiment le double système qui devrait le remplacer.
-Pour réduire les conséquences des déserts médicaux et plus généralement de l’insuffisance du nombre de soignants sur l’ensemble du territoire national plusieurs rustines sont proposées:
- Afin d’augmenter le rendement des médecins , ce qui risque d’avoir des conséquences sur la qualité des soins, il est proposé la création, en 2022, de 4000 assistants médicaux partiellement financés la première année et réservés aux médecins libéraux regroupés ( bien peu sont concernés sur les 106.000 médecins libéraux). Ce concept pose plusieurs questions en dehors de son financement partiel: assistant aux soins ou au travail administratif, ou les deux? Quelle place par rapport aux infirmières? n’est-ce pas le risque de créer des sous officiers de santé aux taches médicales subalternes et de diminuer la qualité des soins? Si il s’agit d’aider les médecins en les dispensant du temps passé pour le travail administratif, pourquoi ne pas envisager cette mesure pour les médecins salariés , par exemple pour les centres de santé qui le réclament et qui l’ont mis en place depuis plusieurs décennies. Ce serait équitable . S’il s’agit de petits actes de soins qui peuvent être effectués tout en dialoguant avec le malade, quel gain de temps pour le praticien? Par contre ce sera une diminution du temps consacré au dialogue médecin-patient .
- Pour lutter contre les effets des déserts médicaux et faciliter l’accessibilité territoriale , création exceptionnelle de 400 postes de médecins généralistes salariés à exercice mixte pour une période de deux ou trois ans. Ceux ci seraient salariés par des hôpitaux ou des centres de santé situés dans des territoires prioritaires . Là aussi les centres de santé sont pionniers en la matière dans plusieurs régions sans aide significative jusqu’ à présent. Mais comment ces postes seront-ils financés? Quand? En totalité ou en partie? Et dans deux ans, que se passera-t-il? Pourquoi cette volonté d’incitation au double statut libéral-salarié? Le mode libéral semble être à plusieurs reprises dans ce document, contrairement à tous les constats effectués auprès des professionnels et des usagers, le modèle d’avenir du ministère.
- Développement de l’espace numérique personnel, du dossier médical partagé, de l’aide à la consultation, de la téléconsultation: rien de nouveau…
- Financement (à définir en volume et répartition) de 1000 Communautés Professionnelles Territoriales de Santé d’ici 2022, application de la loi de 2016 et qu’on appelle depuis 30 ans le travail en réseau. Rien d’innovant en la matière sauf le vocabulaire. Il parait illusoire d’attendre de cette organisation entre professionnels « très incités », organisation qui existe déjà et qui a déjà été tentée, la solution à tous les maux: déserts médicaux, urgences, prévention, hospitalisations, permanence des soins,…Toutefois, là ou ils sont, nombreux sont les centres de santé déjà dans la démarche des CPTS en s’inscrivant activement dans les contrats locaux de santé.
Le mouvement des centres de santé revendique depuis plusieurs années une évolution des réglementations les régissant afin de tenir compte des territorialités: définir qui doit créer ces structures? Ou? Qui doit les cofinancer? Envisager que les instances (état, région , département, ville, association, mutuelle) en charge des populations d’un territoire soient les co-créateurs, co-décideurs et co-financeurs des centres de santé. Définir les règles de gouvernance pour associer professionnels et patients. Édicter les situations aboutissant à la création obligatoire d’un centre de santé. Définir un statut d’établissement public ambulatoire pour l’ensemble du pays avec un statut commun des personnels de ces centres. Ces questions et bien d’autres devaient être envisagées avec Mme Buzin, ministre des solidarités et de la santé, au 58e Congrès National des Centres de Santé organisé par l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé ( thème central du congrès: Pour un service public de santé de proximité) les 11 et 12 octobre à Paris. La ministre s’y est exprimée dans un discours résumé avec humour par la presse en une phrase: Je vous ai compris…!!!
On sait combien, historiquement, ce genre de propos peut recouvrir de vagues promesses qui ne seront jamais tenues. Encore de la poudre aux yeux !
On le voit, rien d’exceptionnel dans ce plan qui privilégie mesurettes et réorganisations souvent déjà en cours, négligeant des chapitres essentiels et sous estimant l’importance des personnels compétents, des difficultés des usagers, du temps, des moyens et des finances.
Alain Brémaud