Alain Beaupin.
Et si les professionnels avaient enfin voix au chapitre dans la gouvernance des centres de santé ?
Tel est l’enjeu des discussions en cours au ministère de la santé autour la question des SCIC, les fameuses sociétés coopératives d’intérêt collectif dont le statut, datant de 2001 a été précisé par la loi Hamon de juillet 2014.
La Loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 prévoit à son article 204, soyons précis, d’autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier et renforcer l’accès aux soins de premier recours, en clarifiant et adaptant les conditions de création, de gestion, d’organisation et de fonctionnement des centres de santé.
Il est actuellement question d’autoriser la gestion d’un centre de santé par une SCIC, sous condition qu’elle ait un caractère désintéressé, c’est-à-dire non lucratif. En pratique, pour satisfaire à cet impératif de caractère non lucratif, la SCIC devra s’interdire de redistribuer à ses sociétaires les éventuels bénéfices. Cette interdiction devra figurer dans ses statuts.
Lorsque cette possibilité sera entrée en vigueur, un centre de santé géré par une SCIC n’appartiendrait plus à un seul gestionnaire (commune, association, mutuelle) mais à plusieurs partenaires.
Qui pourra être partenaire au sein d’une SCIC gérant un centre de santé ?
Peuvent être partenaires des collectivités territoriales, des mutuelles, des professionnels de santé, d’autres professionnels, voire des établissements de santé, et bien sûr des usagers, la liste n’est pas limitative. Deux règles à respecter toutefois, c’est la Loi qui le dit, il faut associer au moins trois parties et aucune partie ne peut détenir la majorité à elle seule. Une collectivité territoriale (une commune par exemple) ne pourra pas détenir plus de cinquante pour cent des parts de la SCIC. Il en irait de même pour un hôpital, une mutuelle, ou pour les professionnels.
Pour les médecins exercer dans un centre de santé géré par une SCIC ça change quoi ?
Un médecin exerçant dans un centre de santé géré par une SCIC continue à être salarié dans les conditions habituelles. Il est salarié et bénéficie de toutes les prérogatives de ce statut. Son employeur est la SCIC. Sa rémunération est fixée selon les modalités en vigueur. A l’échelon individuel, les choses sont peu modifiées. C’est au niveau collectif que les choses se passent. Les praticiens coopérateurs de la SCIC font partie de la gouvernance au même titre que les autres associés. Ils peuvent donc agir sur les orientations et choix stratégiques du centre de santé, en matière d’offre aux usagers par exemple, d’investissements, d’affectation des ressources et plus généralement, de projet de santé.
En revanche, à la différence du modèle libéral traditionnel, le corps médical n’est jamais majoritaire et ne peut imposer ses vues. Autre différence avec le libéral, dans lequel les recettes des honoraires sont directement perçues par le praticien, le caractère désintéressé de la SCIC gérant un centre de santé interdit le versement de dividendes.
Ce qui vaut pour le corps médical, l’incitation à rechercher l’équilibre des pouvoirs, vaut aussi pour les administrations, les élus et les autres acteurs sociaux.
Et les patients dans tout ça ?
La question de la place des patients aux différents échelons du système de santé dépasse à l’évidence le simple périmètre de la gouvernance, la médecine moderne ayant pris la fâcheuse habitude de s’occuper prioritairement de maladies et non pas de patients dans toute leur humanité.
Pour autant, le statut de SCIC permettrait de faire participer les usagers à la gouvernance des centres de santé, aux côtés des autres partenaires, à travers les organismes représentatifs dont ils pourraient se doter pour l’occasion. Allons-nous assister au retour en grâce d’un concept aujourd’hui un peu démodé, celui de santé communautaire? Ou à une incarnation de l’idée de démocratie sanitaire ? Verrons-nous émerger moult comités de défense ou comités de lutte, comme au bon vieux temps des dispensaires et de la défense de la médecine sociale ? Rien n’est écrit, tout est ouvert.
Un nouveau cycle à ouvrir pour les rapports entre assurance maladie et centres de santé.
Si l’on veut bien admettre que rien de bon ne sortirait d’une remise en cause du principe de l’assurance maladie universelle, obligatoire et solidaire, la recherche de nouveaux équilibres au niveau territorial, entre pouvoirs politiques, médicaux et sociaux permise par les SCIC pourrait inviter à revoir, dans le même esprit, les règles du jeu conventionnel au niveau national. Le monde de la médecine de ville est en effet régi par pas moins de neufs conventions libérales, une par profession, auxquelles s’ajoute la convention des centres de santé, leur accord national. Problème dans le monde libéral, chaque profession étant indépendante, les questions de gouvernance et de rapports entre professionnels au plan local ne sont pas simples à réguler, dans un contexte où l’épidémie des maladies chroniques appelle des réponses construites, et des équipes organisées. Les centres de santé disposent quant à eux d’une convention unique pour toutes les professions, dont on attendrait qu’elle favorise les pratiques en équipe. Cependant, les professionnels n’étant pas partie prenante de l’accord national, celui-ci a vu sa portée limitée aux seules fonctions de support (l’intendance). L’accord national de 2015 a ouvert la porte à quelques avancées, pour l’organisation ou la qualité des soins, mais les financements ne sont pas au rendez-vous à un niveau pertinent, faute de visibilité sur l’efficience des pratiques des médecins, ces derniers ayant été tenus à l’écart.
Des solutions imaginées depuis le terrain ?
Les nouveaux équilibres qui pourraient s’établir sur le terrain, au sein de centres de santé coopératifs pensés un peu comme des laboratoires de l’innovation, pourraient déboucher sur de nouvelles règles du jeu pour les centres de santé au plan national. Et lorsque le moment sera venu de construire ce nouveau cadre national, il serait sans doute judicieux de regarder aussi comment les dotations financières pourraient prendre en compte la performance des parcours des patients dans leur globalité, y compris dans leurs passages hospitaliers. Pourquoi l’esprit coopératif autour du patient devrait-il s’arrêter à la porte de l’hôpital et du médico-social ?