Par Régine Raymond, Directrice administrative et financière de la Santé Publique de la Ville d’Aubervilliers ( Seine Saint Denis), Présidente de la FNFCEPPCS , Docteur en Sciences de l’Education
Aujourd’hui, en France, il n’existe pas de définition juridique des risques psycho-sociaux (RPS). Toutefois, il y a un consensus autour du cadre proposé par le Collège d’expertise constitué en 2008 par l’INSEE, à la demande du Ministère du Travail. Il est ainsi proposé de regrouper sous la notion de RPS, « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’agir avec le fonctionnement mental ».
Les facteurs à l’origine des RPS sont connus et sont plurifactoriels :
Ainsi, lorsqu’on évoque les RPS, il est souvent fait référence au stress, au « burn-out », aux relations de travail difficiles, au management négligeant le facteur humain et à toutes les formes de violences. Il est à noter que seuls, le stress, le harcèlement moral et sexuel et la violence au travail, font l’objet de mesures conventionnelles et législatives spécifiques.
Les RPS ont une incidence avérée sur l’état de santé des individus exposés et peuvent être à l’origine d’un vécu douloureux souvent inexpliqué (manque de sommeil, perturbations alimentaires, sensation d’épuisement, d’isolement, d’incompétence, perte de confiance, d’estime de soi…) ou d’un ensemble de pathologies (troubles musculo-squelettiques, ulcères, hypertension, infarctus, troubles hormonaux…).
Un fois ce cadre rapidement posé, la question se pose du rapport entre les RPS et les professionnels des centres de santé.
Le lien est à la fois simple et complexe.
Les professionnels des centres de santé sont amenés à recevoir, accompagner, conseiller, soigner les personnes exposées aux RPS et/ou souffrant des pathologies associées. Mais alors qu’ils accueillent cette souffrance spécifique au travail, ils peuvent eux-mêmes y être exposés.
Il n’existe pas d’étude spécifique sur l’exposition des professionnels des centres de santé aux RPS mais un constat général met en lumière un vécu émotionnel douloureux des conditions de travail.
La question de l’agressivité des patients est récurrente (avec un écho particulier chez les personnels administratifs en charge de l’accueil). D’autre part, la complexité grandissante à accompagner des patients de plus en plus précaires avec des moyens de moins en moins adaptés, n’est pas sans conséquences sur les conditions d’accompagnement.
Le travail en équipe est entendu comme un point fort du travail en centre de santé car il permet de croiser les regards et les expériences. Mais le vécu d’équipe est complexe car il nécessite, par exemple, de conjuguer des individualités parfois difficilement compatibles, ce qui est source de tensions relationnelles importantes.
Par ailleurs, les échanges entre soignants et administratifs demeurent marqués par une hiérarchie forte qui ne permet pas toujours de valoriser la place de chacun au sein de la structure.
Enfin, la question de la distance ressentie (ou réelle) entre les équipes de direction et les agents de la structure est vécue comme une source de tensions qui semble concourir au sentiment d’isolement évoqué par tous… Alors même que, de leur côté, les équipes de direction mettent en avant la difficulté à répondre aux exigences de leur propre hiérarchie tout en satisfaisant aux demandes des professionnels, les deux étant souvent incompatibles.
Tout cela entretient, chez les professionnels des centres de santé, le sentiment d’agir dans un cadre qu’ils ne comprennent pas ou qui ne correspond pas à leurs valeurs. Un sentiment fort de non-reconnaissance de la réalité et de la qualité de leur travail s’ajoute à ce ressenti.
Le collectif est partiellement aidant mais l’épuisement professionnel et la démotivation sont là, en témoigne l’absentéisme croissant.
Quelles solutions peut-on imaginer ? En réalité, cette question n’a pas vraiment de réponses toutes faites.
On peut supposer qu’une réflexion est nécessaire autour du renforcement du collectif comme levier d’amélioration des pratiques et du bien-être au travail, avec un travail autour de la définition de valeurs communes par exemple.
Une transparence et une meilleure fluidité de circulation de l’information permettraient également de comprendre les enjeux propres à chaque professionnel.
Par ailleurs, l’accompagnement des professionnels dans la mise en lumière de l’originalité de leur trajectoire, de la reconnaissance de leurs compétences et de la définition de perspectives, pourrait également contribuer à redonner du sens à leur activité… et donc à renforcer leur motivation.
Il semble également indispensable d’accompagner les structures dans le déploiement d’actions de prévention et de repérage de la souffrance au travail, notamment avec les services de santé et de sécurité au travail ou encore avec les CHSCT.
Et bien évidemment, l’octroi de moyens supplémentaires pour répondre à la détresse sociale concourrait à réduire le sentiment d’inefficacité des professionnels, même si cet aspect ne peut être dé-corrélé d’un travail interne à chaque structure, afin de réduire le mal-être ressenti par les professionnels.
Autant de pistes (dont la liste n’est évidemment pas exhaustive) qui semblent finalement couler de source… mais qui demeurent pourtant bien complexes à mettre en œuvre, dans une réalité quotidienne où l’urgence semble être le maître mot. En témoignent les expérimentations déjà menées, tels que des groupes d’échanges annulés faute de participants motivés, ou parce qu’il n’est pas toujours évident de fermer la structure, pour permettre à tous d’y participer.