Chers amis,
Curieuse période que celle que traversent les Centres de Santé, les professionnels qui y exercent et leurs usagers au moment où se pose la question, encore, de l’avenir des Centres de Santé.
Quelques mois après le changement de gouvernement, c’est une période d’attente et de vigilance pour tous, d’espoir pour certains, d’inquiétudes pour d’autres, parfois les mêmes.
L’attente, c’est celle du rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) sur les centres de santé, annoncé avant l’été. Un nouveau rapport qui doit tenter de répondre aux questions pourtant largement débattues et auxquelles nous avons apporté des réponses depuis tant d’années : la place des Centres de Santé dans l’offre de soins et de Santé Publique en France, et les conditions de leur pérennisation et de leur développement, plus prosaïquement, celles de leur viabilité économique. L’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS) a rencontré à deux reprises la mission de l’IGAS et poursuit ses échanges avec elle. L’écoute, l’attention, la richesse des échanges, l’absence de tabous et le refus des préjugés lors de ces entretiens nous laissent espérer un rapport dont les préconisations seront à la hauteur des enjeux. Nous attendons qu’il prenne en compte non seulement les problématiques institutionnelles, réglementaires et économiques des Centres de Santé, mais aussi les bouleversements que connait en ce début de 21ème siècle le paysage sanitaire et social du pays.
En effet, alors que la crise économique s’ajoute à la crise épidémiologique (la forte croissance des maladies chroniques) et à la crise de la démographie médicale (baisse des effectifs, crise des vocations), alors que les déserts médicaux ne sont plus un concept mais une réalité bien palpable dans toutes les régions de France, toutes les analyses, rapports, observations, enquêtes, études, prônent une transformation profonde de l’organisation des soins de premiers recours, des modes d’exercice et de rémunération des professionnels de santé. Il n’est qu’à examiner avec un peu d’attention le dernier Rapport du Sénat sur les déserts médicaux. Au-delà d’une de ses propositions qui remet en cause la liberté d’installation des médecins, question éminemment polémique mais qui n’en demeure pas moins pertinente, ce rapport met en lumière l’intérêt du regroupement des professionnels de santé et l’aspiration des jeunes générations de médecins et étudiants pour l’exercice salarié. Or, quelles structures ambulatoires répondent aujourd’hui aux attentes des institutions, des élus, des usagers en termes de qualité et de sécurité des soins, de santé publique, d’accessibilité sociale, et qui proposent aux professionnels de santé salariat, exercice regroupé et pratiques pluri-professionnelles coordonnées ?
Ne cherchez pas : les Centres de Santé.
L’attractivité des centres pour les jeunes soignants a été confirmée lors des rencontres qu’a suscitées l’USMCS en ce début d’année 2013 avec les organisations d’étudiants en médecine, d’internes en médecine générale et de chefs de clinique et de remplaçants en MG (ANEMF, ISNAR IMG, REAGJIR). Elles les ont identifiés comme lieux de formation médicale initiale de qualité, de recherches universitaires potentielles, d’exercice moderne et alternatif à l’exercice libéral. Et leurs représentants ont porté une grande attention à nos préoccupations exprimées sur l’avenir des centres à l’heure de la mission IGAS.
Et comment ne pas espérer quand le Premier Ministre, Mr Jean Marc Ayrault, reprenant les propositions du Pacte Territorial de Santé de Mme Marisol Touraine lors de son discours récent à Grenoble, s’est fait le promoteur de la médecine dont les centres de santé sont les premiers défenseurs, la médecine de parcours, cette médecine globale, d’équipe et coordonnée que nous exerçons ?
Certainement pour tous ceux qui comme nous veulent parier sur la volonté – et le courage – du gouvernement à vouloir apporter des réponses efficaces aux besoins sanitaires des populations garantissant accès aux soins pour tous en tout point du territoire. Pour cela, il lui faudra examiner à l’heure des choix, en toute objectivité, et dans toutes leurs dimensions, les expériences alternatives à la médecine libérale, et en premier lieu, les centres de santé. Il va lui falloir résister aux lobbys, à la désinformation – celle qui a accompagné l’étude de l’ARS IDF par exemple – et aux préjugés. C’est là où la mission IGAS est si importante. Et difficile : car la pertinence et les conditions de viabilité des centres de santé ne peuvent être évaluées sur les seules analyses « fermées » des coûts dont on sait qu’ils sont d’abord structurels et non par défaut de gestion. Elles doivent l’être sur l’efficacité sanitaire des centres et sur leur efficience médico-économique. Mais là encore, des éléments significatifs, convergents, en faveur des centres sont apportés par les résultats de l’étude EPIDAURE (2010) et plus récemment par ceux du bilan, certes encore partiel, des expérimentions des nouveaux modes de rémunération (ENMR), en centres de santé, maisons et pôles de santé (2013) :
Oui, les centres de santé offrent une prise en charge de qualité à leurs usagers, au moins aussi bonne que les médecins libéraux, et pour des patients globalement socialement plus vulnérables et médicalement plus complexes.
Oui, les centres de santé diminuent, par leur organisation et leur pratique médicale coordonnée, les dépenses de santé de leurs usagers, à l’exemple des dépenses de médicament.
Et si cela ne suffisait pas encore, comment le gouvernement ne pourrait-il pas constater l’éclosion de dizaines de centres de santé dans les déserts médicaux : plus de trente projets aboutis ou en cours de réalisation selon le dernier recensement de la Fédération Nationale des Centres de Santé le 26 février dernier. Dans toutes les régions de France, Ces Centres municipaux, hospitaliers et associatifs réussissent là où les solutions proposées par les médecins libéraux ont échoué : dans des zones sans soignants, réimplanter des médecins, mais aussi des chirurgiens-dentistes, des paramédicaux, des services édicosociaux. Portés par des élus de toutes familles politiques et des promoteurs volontaristes à l’écoute des populations, qui ont exploré toutes les pistes possibles, ces projets remportent l’adhésion des professionnels de santé et des usagers.
Alors oui, si l’examen que fera le gouvernement des centres et de la situation de l’offre de soins est complet et objectif, nous pouvons avoir de l’espoir : celui que enfin soient prise en compte pleinement les missions de service public que la loi a données aux centres de santé et qu’ils remplissent avec efficacité ; et que les financements nécessaires au maintien de ces missions et au développement de nouveaux centres soient obtenus.
Mais je ne vous cacherai pas nos inquiétudes : 2013 devait être aussi l’année de la renégociation de l’Accord National, le dispositif qui régit les rapports entre la CNAMTS et les centres de santé. C’était l’occasion tant attendue d’obtenir une partie des financements des missions des centres, en prenant en compte entre autres éléments le rapport de l’IGAS. Mais n’ayant pas été dénoncé par les organisations gestionnaires des centres de santé, l’Accord National sera très certainement reconduit en avril, sans modifications. Mais tout n’est pas perdu puisque l’Accord, même reconduit, pourra être modifié par voie d’avenants à condition que la CNAMTS veuille bien ouvrir des négociations. Ou plutôt, que le Ministère prie la CNAMTS de les ouvrir… C’est bien ce que demandera dans les prochaines semaines l’USMCS, suivie, nous l’espérons, de toutes les organisations gestionnaires de centres de santé.
Autre sujet d’inquiétude, de nouveaux acteurs sont apparus ces dernières années dans le champ de l’entreprenariat social. Faiseur de miracles, ils proposent des modèles clés en main de « centres de santé-entreprises ».
Consultants spécialistes autoproclamés des centres de santé, ils disent pouvoir résoudre par 2 tableaux Excel et à l’aide d’une simple calculette l’équation de l’équilibre financier des centres qui reste insoluble pourtant depuis tant d’années pour les promoteurs des centres de santé… A y regarder de près, leur modèle est simple, simpliste même. Il est basé sur l’augmentation de la productivité des professionnels de santé rémunérés au pourcentage des actes réalisés et sur la base d’objectifs (par exemple, plus de prothèses pour les dentistes, plus d’actes techniques rentables pour les médecins…) au détriment de la réponse aux besoins des patients et au risque de prendre quelques libertés avec les bonnes pratiques. Ces modèles sont inacceptables. Et pourtant ils inspirent des gestionnaires en échec et en manque d’idées à l’exemple des gestionnaires des centres de santé mutualistes.
Ne laissons pas les institutions penser que de tels modèles productivistes, inflationnistes et rétrogrades, contraires à la qualité des soins, rejetés par les étudiants d’aujourd’hui et médecins de demain sont la bonne réponse.
L’USMCS s’y emploie par ses propositions : remise en cause du paiement par les seuls actes des structures, nouveaux financements publics des centres (de type Missions d’Intérêt Général par exemple), prise en charge ducoût de la dispense d’avance de frais (tiers payant et part complémentaire) par l’Assurance Maladie mais aussi par les assurances complémentaires, mutualistes ou privées. Mais surtout, il nous parait grand temps de créerde nouveaux modèles économiques et institutionnels pour les centres. C’est la réflexion que l’USMCS avec d’autres organisations professionnelles a initiée à travers une contribution diffusée au dernier congrès des centres de santé qui va encore s’enrichir dans les mois à venir. Parions que nos tutelles prendront la peine de l’examiner, d’étudier nos propositions, qu’elle participera à éclairer leurs choix. Et à rejeter des modèles qui vont contre le sens de l’histoire et l’intérêt général.
Un autre front est apparu ces derniers mois, celui qui oppose des confrères de centres nouvellement créés à leurs Conseils de l’Ordre Départementaux. Après des chirurgiens dentistes menacés et mis en cause en Ile De France pour des faits qui ne relèvent que de la responsabilité de leurs gestionnaires, c’est aujourd’hui les médecins de centres de santé municipaux qui subissent dans de nombreuses régions des pressions inadmissibles qui confinent au harcèlement de la part des Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins à propos de la Permanence Des Soins Ambulatoires. Ils se sont vus inscrits d’autorité et contre leur volonté sur les listes de garde malgré leurs explications et rappels à propos d’une réglementation qui ne permet pas à des médecins salariés de participer à cette PDSA, à moins de s’y inscrire comme médecin… libéral ou de le faire à titre…bénévole !
Des discussions sont pourtant en cours au niveau national afin de permettre aux médecins des centres de remplir leur devoir déontologique dans le respect de leur statut et de celui des centres.
L’acharnement de ces CDOM révèle l’inquiétude, la méconnaissance de notre mode d’exercice et peut-être l’opposition idéologique de certains médecins libéraux face à la multiplication des centres de santé qu’ils tentent d’endiguer ainsi, oubliant l’intérêt général et celui des populations. Avec la Fédération Nationale des Centres de Santé, l’USMCS en appelle à l’apaisement, à l’intervention des ARS et à la responsabilité des CDOM, du Conseil National de l’OM. Ces derniers peuvent – doivent à mon sens – par leur action faciliter notre demande pour que soient trouvées par les tutelles les solutions qui permettent enfin aux médecins salariés des centres de santé de participer à la PDSA.
La conviction de la pertinence de nos structures et de leur mode d’exercice me fait pencher vers l’espoir, malheureusement et paradoxalement renforcé par le constat des conséquences sanitaires d’une crise économique qui met en lumière plus que jamais le rôle social irremplaçable des centres de santé.
Mais nous n’aurons vraiment de réponses à cette question que dans quelques mois.
Et son thème sera plus que jamais en plein coeur de l’actualité : « les déserts médicaux, la réponse des centres de santé ».
A très bientôt,
Eric May