« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait ». Cette perle de Michel Audiard immortalisée par Lino Ventura dans « les Tontons Flingueurs » pourrait presqu’être considérée comme taillée sur mesure pour les acharnés des projets de loi ou autres amendements visant la restriction des droits des centres de santé, vous savez ces « droits fondamentaux » dont se réclament les défenseurs de la seule médecine libérale.
Je suis toujours ébahi par la constance avec laquelle les opposants à la seule existence des centres de santé renouvellent leurs textes législatifs, comme d’autres se sont acharnés à combattre outre atlantique les droits des femmes à disposer de leur corps, en espérant avoir le même succès que les tenants de leur modèle de société.
Ils n’ont qu’une idée fixe : restreindre pour les centres de santé la sacrosainte liberté d’installation que les libéraux (et le gouvernement) ne veulent pas mettre en place vis-à-vis de ceux qui représentent 95% de l’exercice ambulatoire. Ou comme ils disent plus hypocritement « visant à améliorer l’encadrement des centres de santé ».
Comme toujours ils drapent leurs discours de propos dégoulinants de bons sentiments et de « défense de l’intérêt des usagers » en s’appuyant sur les monstres utiles pervertissant l’image de la santé ambulatoire.
Si la recherche du profit maximal est un danger pour le budget de la sécurité sociale et de la santé publique, la première réforme à mettre en place est la suppression de la gestion des CDS par les établissements d’hospitalisation privée à but lucratif introduite explicitement par la loi Bachelot de juillet 2009. La rémunération des actionnaires des groupes comme Ramsay, Korian, Elsan n’est pas plus digne que les groupes financiers ou familiaux qui se cachent derrière les chaines de gestion de certains centres de santé dentaire ou ophtalmologiques.
S’il s’agit de lutter contre les surfacturations ou les escroqueries à l’assurance, il serait plus efficace que le PLFSS et le Projet de Loi de Finance de l’Etat donnent plus de moyens pour recruter plus de médecins conseils et de dentistes conseils dans les Caisses de sécurité sociales, de médecins inspecteurs et de dentistes inspecteurs dans les ARS, pour effectuer les contrôles nécessaires et que la loi leur permet déjà de faire depuis toujours.
La marge de récupérations des indus ou des surfacturations est colossale du coté libéral, sans remise en cause de leurs droits à convention ou à s’installer, pour que ce ne soit pas un motif à action exclusive et préalable, à l’encontre des CDS qui, avant même que d’exister sont suspect de malhonnêteté et de pratique « déviante ».
Pour mémoire, Thomas Fatôme, Directeur Général de la CNAM, s’est exprimé clairement sur le sujet le 30 septembre dernier dans le cadre du PLFSS 2023. « Il n’y a pas une fraude à l’Assurance Maladie mais des fraudes multiples et diverses ». Près des 2/3 des fraudes détectées par l’Assurance Maladie se concentrent chez les professionnels de santé, non-respect de la réglementation ou de la nomenclature, actes fictifs ou encore fraudes à la prescription.[1]
Pour la seule médecine générale, le préjudice est estimé entre 3,1 et 3,5% des dépenses, soit 185 à 285 millions d’euros par an[2]. Les « préjudices financiers » causés à la Sécu représentent entre 5% et 7% des sommes versées aux infirmières libérales soit de 286 à 393 millions d’euros et près de 9% du coût de la complémentaire santé solidaire (CSS), selon une évaluation dévoilée jeudi 12 mai par la Caisse nationale d’assurance maladie (il s’agit en premier lieu de prestations fictives, de facturations multiples ou frauduleuses (34%) d’une part et de non-respect de la nomenclature ou de la réglementation (29%) d’autre part. Mais si l’on considère le montant du préjudice, c’est la fraude à la prescription (fausses ordonnances, etc.) qui arrive en premier, représentant 43% des sommes concernées, suivie des actes fictifs 31%).
Le secteur dentaire n’est pas en reste ; l’estimation du montant annuel des fraudes est de 100 millions d’euros.[3]
A aucun moment il n’a été envisagé d’introduire un agrément préalable avec condition restrictives d’installation pour tous les libéraux en raison des fraudes de quelques-uns.
S’il s’agit de lutter contre les dérives des pratiques qui portent atteinte à la santé des patients, on peut retenir le rapport annuel de la seule MACSF s’agissant de la sinistralité de 2021 en chirurgie dentaire : « Les 1 872 déclarations reçues confortent la stabilisation relative de notre sinistralité. Les réhabilitations implantées constituent 21 % des litiges thérapeutiques traités. Et enfin, les actes endodontiques au sens large, représentent 32 % des étiologies des litiges thérapeutiques traités. »
Il n’y a pas de vagues d’indignations à chaque publication des rapports annuels des assureurs professionnels face à tous ces drames vécus par les patients, exigeant que la profession dentaire libérale fasse l’objet de mesures draconiennes relatives à leurs « conditions d’ouverture et de fonctionnement » avec un empilements de mesures qui sont considérées comme insuffisantes avant même que d’avoir été mises en place.
J’attends que les parlementaires auteurs de la proposition de loi contre les centres de santé reprennent leurs propos « Il n’est en effet pas acceptable que dans notre pays, et au regard du système de soins qui est le nôtre, de telles dérives puissent encore avoir lieu. Il en va de la sécurité sanitaire de nos concitoyens. »[4], loi proposée par Fadila Khattabi, Aurore Bergé et tout le groupe parlementaire Renaissance, les mêmes qui ont fait adopter un amendement en 2021 dans le PLFSS 2022 mettant fin au conventionnement d’office des centres de santé, contrairement à la totalité des professionnels de santé libéraux sous convention avec l’Assurance Maladie. Encore une liberté qui vaut pour les libéraux mais pas les centres de santé.
Je pense que s’il faut se battre sans réserve pour lutter contre les fraudes et les pratiques néfastes à la santé des patients et dans ce domaine les centres de santé doivent être traités à égalité avec le secteur libéral.
Il apparaît que ces mesures instaurant la fin du conventionnement d’office pour les centres de santé ou rétablissant l’agrément conditionnel ne sont que des mesures visant l’existence même des centres (l’introduction de l’activité de gynécologie dans le dernier projet de loi montre que la surenchère sur les interdictions ne fera que se poursuivre et se renforcer) en même temps qu’il est un hommage à leur développement.
Il nous faut revenir à une stricte égalité de traitement entre centres de santé et libéraux, que ce soit sur les conditions d’installation, de fonctionnement, de conventionnement, les aides à l’installation que de leur inscription dans le paysage du système de santé ambulatoire.
Le modèle libéral de l’organisation du système de santé ambulatoire a démontré ses limites et sa perversion en faisant reposer sa rémunération sur le paiement à l’acte. Ce modèle est éminemment inflationniste, porteur de tous les risques de fraudes aux assurances sociales, base de la recherche par tous les moyens d’un rendement maximum et au productivisme sacrifiant l’intérêt des patients et de la santé publique, ouvrant la voie aux appétits sans limites des investisseurs.
C’est ce système qu’il nous faut rejeter.
Les centres de santé ont toutes leur place pour relever le défi d’un service public de santé ambulatoire, financé par un budget qui intègre toutes leurs missions, pour répondre aux besoins de tous les habitants et dans tous les territoires.
C’est le projet que portent de plus en plus de collectivités territoriales qui par leur engagement dans la création de centres de santé font la démonstration de la faillite de la médecine libérale comme unique réponse à ce qui est une mission de service publique.
C’est ce que veulent empêcher ces parlementaires hypocrites et partisans qui n’ont rien à faire ni de la santé publique ni du budget de la sécurité sociale.
[1] https://www.acuite.fr/actualite/profession/242261/fraudes-en-sante-tous-les-professionnels-concernes-le-detail-par-secteur ;
[2] https://www.egora.fr/actus-pro/assurance-maladie-mutuelles/76635-fraude-des-medecins-generalistes-la-cnam-devoile-des ;
[3] https://www.argusdelassurance.com/assurance-de-personnes/sante/dentaire-les-assureurs-sante-face-a-la-fraude.148675
[4] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0361_proposition-loi#