On compte environ 1600 centres de santé en France, dont 400 centres de santé polyvalents et 100 centres médicaux, le reste se répartissant entre centres de soins infirmiers et centres dentaires.
Les centres de santé sont gérés par des organismes à but non lucratif, municipalités, associations, mutuelles. Ils pratiquent le tiers payant. Les médecins qui y exercent sont salariés. Ils permettent l’accès sans dépassement tarifaire à des soins de premier recours, à des spécialités médicales, ainsi qu’à des explorations complémentaires (biologie médicale, imagerie). Nombre d’entre eux s’inscrivent dans des politiques locales de santé publique et des politiques sociales. Ils organisent l’accès à la prévention et aux dépistages et contribuent à l’équité de l’accès aux soins.
Ils ont développé de longue date des pratiques médicales en équipes pluriprofessionnelles, appuyées sur des dossiers médicaux partagés, intégrant la prévention aux soins, pratiques reconnues désormais comme particulièrement adaptées à la prise en charge des maladies chroniques à un niveau territorial.
Dans le même temps, les pouvoirs publics assistent à l’épuisement de la médecine libérale, fondée sur la charte de 1927. La médecine libérale avait réussi à survivre après les années 1960, alimentée par des conventions médicales ayant socialisé ses revenus. Curieusement, et singulièrement dans la gauche de gouvernement, une représentation libérale de la médecine de ville continue à modeler les imaginaires, les maisons de santé libérales représentant pour beaucoup un idéal de modernité insurpassable. Les jeunes générations de médecins, notamment généralistes, aspirent majoritairement, quant à eux, à exercer leur métier sans les contraintes de l’entrepreneuriat individuel et ses lourdeurs administratives, contraintes inhérentes au libéral dans toutes ses variantes.
Du côté des hôpitaux, ce qu’il est convenu d’appeler le virage ambulatoire impose aux patients des épisodes hospitaliers de plus en plus courts, reportant de nouvelles tâches sur une médecine de ville inapte à les prendre en charge, en amont comme en aval de l’hôpital.
Il devient donc nécessaire d’organiser des parcours de patients intégrant la ville et l’hôpital et financés dans leur cohérence. Ces nouveaux besoins en matière de parcours se heurtent à la fois aux différences culturelles, entre médecine hospitalière de service public et médecine de ville privée, et au cloisonnement des tarifications, inscrites dans un Ondam distinct selon qu’il s’agit de soins de ville ou de soins hospitaliers. Les règles du jeu figent des divergences d’intérêt alors qu’on attendrait d’elles qu’elles récompensent la coopération. Ces nouveaux besoins se heurtent également à une tarification à l’acte des soins de ville, alors que les interventions nécessaires devraient s’inscrire sur la durée et dans des approches par groupes de patients.
Dans ce contexte, les centres de santé sont pris dans une contradiction : organiser des prises en charges continues et globales faisant appel à des professionnels salariés, alors que seuls les actes curatifs opportunistes, ou peu s’en faut, sont facturables. De plus les centres de santé sont soumis à une convention construite sur le modèle des conventions libérales, sensée régir les rapports entre l’assurance maladie et les centres de santé, sauf que cette convention passée avec les seuls gestionnaires (les maires, les présidents de mutuelles) écarte du jeu les professionnels des centres de santé, limitant de fait son périmètre à l’organisation des fonctions support et à l’observation d’indicateurs.
De la contradiction au piège financier, il n’y a qu’un pas pour les gestionnaires de centres de santé contraints d’assumer les déficits structurels de leurs établissements ou de remettre en cause les missions, voire l’existence, de leurs centres de santé.
L’envie d’essayer un nouveau modèle de gestion des centres de santé, a émergé au sein du mouvement des centres de santé en 2015.
Le constat est simple : du constat qui précède découle une faiblesse structurelle du pilotage opérationnel des centres de santé, pris entre des logiques gestionnaires, aveugles sur le contenu des prestations délivrées, et des logiques professionnelles, individuelles et collectives, mal régulées.
La solution proposée est d’adopter un nouveau modèle de gestion, sous forme de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), inscrite dans l’économie sociale et solidaire, à but non lucratif. Il n’existe pas de centre de santé géré en SCIC à ce jour. Le projet Richerand est le projet le plus avancé ( http://richerand.fr/ ).
Dans le cadre d’une SCIC gérant un centre de santé, il est envisagé d’associer la collectivité locale, les professionnels et les autres salariés, les patients du centre de santé, sans qu’aucune partie ne puisse détenir plus de 50 % de la SCIC. S’agissant de la place des usagers dans la gouvernance, retenons dès à présent que la forme coopérative ouvre le champ de la construction de nouveaux équilibres dans la relation soignant/patient.
Ce principe incite les parties à trouver les consensus, à prendre en compte les intérêts de chacun des membres. A la différence du modèle actuel, dans lequel on observe de grandes difficultés à maintenir durablement l’équilibre des pouvoirs, comme en témoigne l’échec de l’expérience des centres de santé mutualistes de la région de Marseille, ou la remise en cause de l’existence du centre de santé, comme à Colombes ou à Clichy par exemple, après une alternance politique.
Un fois ce socle posé, d’autres pistes tout à fait innovantes peuvent s’ouvrir.
Puisqu’il est hautement souhaitable de mettre en place des parcours organisés pour améliorer les prises en charges des patients, pourquoi des hôpitaux n’aurait-ils pas leur place dans la SCIC ? Là encore, c’est la même idée, construire un intérêt commun, autour du patient et de ses besoins, plus puissant que l’intérêt individuel de chacune des parties. Dit autrement, faire en sorte pour que médecine de ville et médecine hospitalière aient plus intérêt à coopérer qu’à se concurrencer, ou simplement à s’ignorer.
A ce stade, on peut déjà avoir mis en place, au sein de la SCIC, des mécanismes de compensation entre les acteurs qui permettent de reconnaître financièrement l’apport de la médecine de ville. Mais pas d’illusion, dans un contexte de budgets hospitaliers très contraints, les marges de manœuvre sont faibles. L’émergence de cultures communes, partagées par la ville et l’hôpital, quoique précieuse, n’est pas encore monétisable à ce stade.
Les tarifications à l’activité ont montré leurs limites, leur caractère inflationniste ne pouvant être contenu qu’au prix de fortes contraintes sur les acteurs, engendrant souffrances, démobilisation collective, repli sur soi, et évitement.
Face à ce qu’il faut bien nommer une crise de notre système de soins, et pas seulement des crises sectorielles, crises de la médecine de ville, des centres de santé, et des hôpitaux, il faut admettre que nous sommes dans une situation de rupture. Cette crise invite à revoir le cadre de pensée commun, fait de stratifications, produisant logiquement des solutions sectorielles, partielles, impuissantes à résoudre des questions systémiques.
La question des tarifications intégrées ville-hôpital, applicables dans le cadre de structures de soins au sein desquels coopèrent les acteurs des différents niveaux est de celles qui invitent à penser de manière systémique. Et surtout, elles permettent d’agir de manière souple, en laissant aux acteurs de terrain la responsabilité de s’organiser au mieux de l’intérêt des patients.
Pourquoi l’assurance maladie obligatoire ne serait-elle pas partie prenante de Centres de santé gérés en SCIC ?
Certains régimes spéciaux de sécurité sociale gèrent de longue date des centres de santé, comme la Sécurité Sociales des Mines, la RATP ou encore la SNCF. Il en va de même pour certaines Caisses du régime général (Paris, le Val-de-Marne, etc.). Si l’on admet que la sécurité sociale est légitime pour devenir, dans un cadre coopératif, sans hégémonie possible, l’un des acteurs des centres de santé coopératifs, c’est tout le paysage de notre offre de soins et de ses modalités de financement qui pourrait être redessiné à partir du terrain. On entendra peut-être, venues du corps libéral, des protestations contre la « médecine de caisse. » Mais le risque, réel celui-ci, est plutôt actuellement celui d’une prise de pouvoir par les assureurs et les mutuelles. Et de l’affaiblissement de notre protection sociale solidaire.
Tous ces efforts pour innover en terme d’organisation des soins seraient un peu dérisoires s’ils n’aboutissaient qu’à une offre de soins parfaitement adaptée aux besoins des patients…. du 20ème siècle.
Le cadre coopératif étant posé, la fin de l’asymétrie des savoirs étant annoncée, tout pourra enfin commencer pour que s’épanouissent de nouvelles relations soignants/patients.