Attendu depuis plus d’un an, le rapport de l’IGAS est enfin paru le 11 février dernier. S’il confirme le rôle essentiel des centres de santé dans l’accès aux soins, il ne propose toujours pas les solutions attendues pour garantir leur viabilité. La FNCS et l’USPCS appellent à une réforme urgente du financement pour pérenniser ces structures indispensables, toujours plus nombreuses chaque année dans le paysage sanitaire.
Ce rapport s’ajoute à la liste des rapports et études précédemment sortis ces dernières années sur la place des centres de santé dans le système de santé français et sur leur modèle médico-économique : rapport de l’IGAS en 2013[1], les études de l’ANAP[2] et ACE[3] plus récemment, mais aussi les rapports du HCAAM[4] ou encore celui de la Cour des comptes [5].
Pour rappel, ce rapport analyse des données économiques et d’activité dont les plus récentes datent de 2022, impactées par la crise Covid. Il n’a porté que sur les centres de santé pluriprofessionnels, excluant les centres de santé médicaux dont l’évolution fréquente vers la pluriprofessionnalité est pourtant une réalité et dont le nombre est passé de 108 à 319 entre 2016 et 2022.
Au-delà d’une présentation parfois partisane[6] et de certaines conclusions contestables[7] qui peuvent encourager des réactions hâtives voire des analyses infondées et erronées des éternels opposants aux centres de santé, que dit ce nouveau rapport ?
- Les centres de santé jouent un rôle majeur dans l’accès aux soins :
- La majorité des centres de santé sont implantés en zones sous-denses et consolident l’offre de soins territoriale en réalisant des prestations délaissées ou peu prisées par les professionnels de santé libéraux.
- Le degré de précarité sociale de la patientèle est nettement plus élevé en centre de santé pluriprofessionnel qu’en exercice libéral au niveau national : le taux moyen national global de la patientèle des centres de santé associant C2S et AME est de 18,2 % contre 10 % pour le libéral. Un quart des centres ont un taux supérieur ou égal à 25,2% et 10 % ont un taux supérieur ou égal à 33,6 %.
- Le mouvement de création des centres de santé pluriprofessionnels est en forte expansion et touche tous les territoires :
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- Le nombre de création de centres de santé pluriprofessionnels n’a cessé d’augmenter passant de 356 à 586 entre 2016 et 2022 (+ 78 %). Il a encore augmenté de 10 % entre 2022 et 2023, atteignant le chiffre de 647. Cette croissance se traduit notamment par des créations de centres de santé pour lutter contre la désertification médicale, portées par de nombreux gestionnaires, dont des collectivités territoriales (+ 31 % entre 2016 et 2022), avec une nouvelle accélération (+ 23 %) entre 2022 et 2023.[8]
- Les centres de santé pluriprofessionnels sont attractifs pour les professionnels de la santé. Beaucoup y exercent une activité à temps partiel et/ou mixte :
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- Les effectifs des centres de santé pluriprofessionnels ont augmenté en conséquence passant de 12 748 personnels de santé et médico administratifs en 2016 à 17 624 en 2022 (+ 40 %). Les personnels médicaux y exercent essentiellement à temps partiel avec une quotité de travail de 44 % en ETP.
- La patientèle de médecine générale par équivalent temps plein (ETP) des médecins généralistes salariés des centres de santé pluriprofessionnels est comparable à celle des médecins généralistes libéraux :
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- Le ratio médian de la file active de patients suivis en médecine générale / ETP en centre de santé est de 1481 patients en 2022 contre 1556 patients par médecins généralistes libéraux. Cela impliquerait une file active des centres de santé inférieure de seulement 5% par rapport aux médecins généralistes libéraux, si et seulement si ceux-ci travaillaient en moyenne 35h/semaine. Mais selon l’étude de la DREES de 2019[9], les médecins généralistes libéraux déclarent travailler 54 hebdomadaires en moyenne dont 44h30 en consultation. La file active des centres de santé est donc au moins comparable si ce n’est supérieure à celle des médecins généralistes libéraux, ce qui vient contredire beaucoup d’idées reçues défavorables aux centres de santé.
- Par ailleurs, en 2022, la DREES avait souligné l’apport des centres de santé dans l’infléchissement de la dégradation de l’accessibilité aux médecins généralistes.[10]
- A contrario, si la valeur médiane de patients médecins traitants relevée en 2022 n’était que de 755 en centre de santé contre 1066 en libéral, elle témoigne :
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- des difficultés persistantes en 2022 de la télédéclaration médecin traitant sur Amelipro dont l’accès n’a été possible pour les CDS qu’en 2019. Elles sont en 2024 en partie résolues pour la majorité des centres.
- que les centres de santé ont des missions d’accueil et de prise en soin qui ne se limitent pas à leurs seuls patients médecin traitant dans de nombreux territoires.
- La situation financière de tous les centres de santé est difficile : c’est un constat partagé par toutes les organisations gestionnaires et des professionnels des centres de santé. Selon la mission, la très grande majorité des centres de santé pluriprofessionnels ont ainsi un déficit d’exploitation médian de – 9,8 %. En revanche, les causes de ces difficultés que le rapport identifie sont sujettes à réserve : seuls les résultats financiers de 7 centres de santé pluriprofessionnels ont été réceptionnés et analysés par la mission et beaucoup d’éléments sont déclaratifs.
Nous retiendrons :
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- Un déficit d’accompagnement des centres de santé par les tutelles, ARS et CPAM, dans l’information et la saisie des financements auxquels ils ont droit[11].
- La part des financements ARS très faible (< 1 %) et inégale selon les agences, notamment pour les actions de prévention, d’éducation à la santé, mais aussi pour le fonctionnement des centres.
- Un financement Accord National trop complexe dans son architecture et son contenu, dont ne peuvent se saisir qu’imparfaitement les centres de santé.
La mission commet néanmoins des contresens en pointant du doigt la productivité des centres de santé et notamment des médecins généralistes :
- La productivité est un indicateur inadapté et réducteur en santé : la qualité de prise en soin des patients ne s’évalue pas au nombre d’actes réalisés, mais au service médical rendu et à sa pertinence ;
- Les patients des centres de santé sont plus précaires et nécessitent des temps de consultation plus longs ;
- La file active des médecins généralistes des centres de santé est comparable, voire supérieure à la file active des médecins généralistes libéraux. Pourtant, le nombre médian d’actes annuels est significativement plus faible chez les médecins généralistes des centres de santé pluri professionnels (3 396 / an contre 4 614 / an pour les médecins généralistes libéraux), et cela, alors même que la patientèle est globalement plus précaire. Le suivi d’un patient en centre de santé apparait donc moins coûteux en actes de médecine générale pour l’assurance maladie qu’il ne l’est en médecine libérale. L’étude EPIDAURE[12] en 2010 et plus récemment l’expérimentation article 51, PEPS Patientèle totale, à laquelle plusieurs centres de santé pluriprofessionnels participent ont déjà identifié cette donnée. Elle reste à explorer, mais alors qu’elle se reproduit, elle est étonnamment ignorée par les tutelles et par la mission.
Pour un financement des centres de santé à la hauteur de leurs missions
Alors que le financement des centres de santé repose pour une part encore très majoritaire (> 80 %) sur des actes négociés et pensés pour une activité libérale auprès d’une patientèle moins précaire et sur un Accord National de 2015 trop ancien et trop complexe, qui ne prend pas en compte la réalité de leur activité d’aujourd’hui, il est urgent de faire évoluer le mode de rémunération des centres de santé :
- Par un nouvel Accord National refondé qui valorise à leur juste coût la coordination et l’exercice en équipe pluriprofessionnelle, la coopération interprofessionnelle, la prévention et la prise en soin nécessairement renforcée pour les populations en situation de précarité, la qualité, la sécurité et la pertinence des soins :
- Par une rémunération à la capitation alternative à l’acte pour les centres de santé volontaires dont l’organisation est fondée sur une équipe traitante identifiée au service du patient (MG, paramédicaux et autres professionnels) ;
- Par le financement des missions de service public et des engagements populationnels des centres de santé sur leurs territoires.
Face aux enjeux de santé publique, la FNCS au niveau national, comme au niveau régional, associée à l’USPCS se tiennent à la disposition de la CNAM, de la DGOS, de la DSS, des ARS et des CPAM pour travailler à un nouveau modèle économique solide et pérenne des centres de santé pluriprofessionnels, médicaux et polyvalents qui œuvrent à garantir un accès aux soins et à la prévention pour tous dans tous les territoires.
Dre Hélène Colombani, Présidente de la Fédération Nationale des Centres de santé (FNCS) president@fncs.org
Dre Marine Combourg et Dr Frédéric Villebrun, Co-Président·es de l’Union Syndicale des Professionnel·le·s des Centres de Santé (USPCS) presidence@uspcs.fr
Rapport de l’IGAS et ses annexes ci-dessous

[1] Les centres de santé : situation économique et place dans l’offre de soins de demain
[2] Centres de santé pluriprofessionnels – Leviers et bonnes pratiques organisationnelles en faveur de l’équilibre économique – https://www.anap.fr/s/article/parcours-publication-2800
[3] https://www.fncs.org/nouvelle-etude-sur-le-modele-economique-des-centres-de-sante
[4] 2022 : https://www.strategie.gouv.fr/files/files/Publications/2021%20SP/2022-09-07%20-%20HCAAM%20-%20Organisation%20des%20soins%20de%20proximit%C3%A9/rapport_hcaam_organisation_soins_proximite_v270123.pdf
2024 : https://www.strategie.gouv.fr/files/files/Publications/Rapport/hcaam_rapport_prospective_rh.pdf
[5] Rapport, Cour des Comptes, juin 2024 : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/organisation-territoriale-des-soins-de-premier-recours
[6] A l’exemple des motifs invoqués pour ne pas recommander un statut ou un cadre d’emploi pour les médecins des centres de santé publics
[7] A l’exemple de l’augmentation de 82 % des charges d’exploitation des centres pluriprofessionnels entre 2016 et 2022 qui n’est pas pondérée par l’augmentation du nombre de centres : 252 en 2016, 450 en 2022, soit des charges moyennes par centre qui passent de 1,826 M€ à 1,864 M€ (+ 2 % !)
[8] Observatoire des centres de santé – données année 2023
[9] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/deux-tiers-des-medecins-generalistes-liberaux-declarent-travailler
[10] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse-jeux-de-donnees/communique-de-presse/accessibilite-aux-soins-de-premier « Cette dégradation – de l’accessibilité aux médecins généralistes – s’effectue néanmoins à un rythme moins important que les années précédentes (-0,8 % contre -1,8 % par an en moyenne entre 2015 et 2021), en particulier sous l’effet de l’augmentation de l’offre de soins en centre de santé, qui a plus que doublé en l’espace de six ans. »
[11] A noter aussi l’absence de financement par la CNAM des organisations gestionnaires représentatives des centres de santé comme les syndicats libéraux signataires des conventions en bénéficient qui leur permettent de participer à la mise en œuvre des accords conventionnels.
[12] https://www.fncs.org/sites/default/files/pdf/2015/NoteSyntheseEpidaureJuillet2011.pdf